Li Kui Yuan était déjà entre deux âges lorsqu’il commença son apprentissage avec Guo Yun Shen et, bien que son niveau fût déjà très élevé, il n’atteignit jamais celui de son maître. Lorsque Li emmena Sun Lu Tang au village de Ma, dans le comté de Shen, afin de rencontrer Guo au printemps 1882, celui-ci accepta Sun comme élève et Li resta également pour continuer sa pratique avec Guo. Sun se déplaçait avec son nouvel enseignant et apprenait le Xing-yi quan à plein temps.
Lorsque Guo vit le Xing-yi quan de Sun, il fut très impressionné. Il dit qu’il était particulièrement aguerri dans la forme du singe du Xing-yi et le surnomma Sun « le singe vivace ». On disait que Sun avait un tel talent inné qu’il surpassait peut-être même le niveau de son professeur originel, Li Kui Yuan.
Pendant la première année de pratique, Guo n’apprit rien de plus à Sun, mais l’observait pratiquer ce qu’il connaissait déjà et apportait des corrections. Une nuit, après que Sun eut passé une année chez lui, il s’exerçait dehors lorsque Guo sauta par la fenêtre et tenta de l’attaquer avec Beng Quan (manœuvre de pulvérisation). Sun utilisa instinctivement un saut de la forme du singe et bondit en arrière de plus de trois mètres.
Guo fut enchanté que Sun réagisse aussi bien et, à partir de ce moment, il se mit à lui enseigner en profondeur.
Guo possédait une ferme et prenait Sun en charge pendant qu’il étudiait avec lui. Sun voyageait partout avec Guo. Celui-ci parcourait souvent de longues distances à cheval. Dans le but de développer l’endurance et la force de Sun, Guo exigeait qu’il marche à côté du cheval, la main posée sur sa queue. Sun devait voyager au même rythme que le cheval, sans lâcher la queue.
Une version de cette histoire raconte que Sun était capable de rivaliser avec le cheval, même lorsque celui-ci galopait. Quand on interrogeait sa fille, Sun Jian Yun, à propos de cette histoire, elle disait : « C’est ridicule, aucun homme ne peut courir aussi vite qu’un cheval ! » Les distances que Sun parcourait en suivant le cheval, ainsi que la vitesse à laquelle il pouvait courir, ont été grandement exagérées dans les livres et articles écrits à son sujet.
Plus tard, Guo remit à Sun le livre sur le Xing-yi quan qu’il avait reçu de son maître, Li Neng Ran. Sun s’agenouilla, accepta le livre et déclara qu’il s’efforcerait toujours de représenter la lignée et cet art avec honneur. Sun devint ainsi l’héritier formel du Xing-yi quan de Guo Yun Shen.
Sun resta au total huit années auprès de Guo. À l’issue de cette période, Guo lui dit que, s’il souhaitait ajouter une nouvelle dimension à ses arts martiaux, il devrait pratiquer le Bagua Zhang afin de s’aguerrir dans l’art de l’esquive. Guo annonça à Sun qu’il souhaitait l’emmener à Pékin afin qu’il étudie le Bagua Zhang avec son ami Cheng Ting Hua. Nous sommes alors en 1889.
Guo Yun Shen et Cheng Ting Hua étaient tous deux natifs du comté de Shen, dans la province du Hebei. Le comté de Shen se trouve au sud du Hebei central, au sud de Bao Ding et à l’ouest de la capitale provinciale, Shi Jia Zhuang. Les habitants du comté de Shen étaient, et sont toujours principalement, des fermiers. Toutefois, en raison de sa position centrale dans le Hebei, de nombreuses routes de voyage traversent ce comté.
Sous la dynastie Qing, comme durant la période républicaine, la protection assurée par les forces de l’ordre ne concernait réellement que les grandes villes. Par conséquent, les voyageurs traversant le comté de Shen et les comtés ruraux environnants ne bénéficiaient que d’une faible protection contre les bandits et brigands qui rôdaient dans la région.
Beaucoup d’artistes martiaux confirmés fondèrent des compagnies de gardes du corps ou d’escorte et louaient leurs services pour protéger les voyageurs contre les bandits. Inutile de dire que les artistes martiaux de cette région étaient hautement accomplis. Li Luo Neng, Guo Yun Shen, Cheng Ting Hua, Liu Qi Lan, Li Cun Yi, Wang Fu Yuan, Geng Ji Shan et Wang Xiang Zhai sont tous natifs de ce comté de Shen, et c’est là que Sun Lu Tang apprit le Xing-yi quan avec Guo Yun Shen.
Puisque Guo Yun Shen et Cheng Ting Hua sont tous deux originaires du même comté, ils se connaissaient probablement avant que Cheng n’aille à Pékin pour étudier le Bagua Zhang avec le fondateur de ce système, Dong Hai Quan. Même s’ils ne se connaissaient pas personnellement, ils devaient au moins connaître la réputation l’un de l’autre.
Quoi qu’il en soit, l’histoire de la manière dont ils devinrent de proches amis est intéressante. Vers la fin des années 1800, le Bagua Zhang devenait très populaire à Pékin et son fondateur, Dong Hai Quan, était célèbre. Guo, justement renommé pour ses capacités en Xing-yi quan, souhaitait se rendre à Pékin pour tester le niveau de Dong Hai Quan.
Lorsque Guo arriva à Pékin, il alla d’abord rendre visite à Cheng Ting Hua. Puisqu’ils venaient tous deux du même comté, Cheng invita Guo à rester chez lui. Lorsque Cheng lui demanda le but de son voyage à Pékin, Guo lui expliqua son intention de défier Dong et lui demanda ce qu’il en pensait.
Cheng connaissait l’extraordinaire niveau de Guo, mais il le mit en garde contre l’idée de défier Dong, car celui-ci n’avait, disait-on, jamais été vaincu. Guo se plaça face à Cheng et dit : « Frère, et si tu encaissais mon Beng Quan ? » Ce fut le seul avertissement que reçut Cheng, car le poing arrivait déjà sur lui. Il esquiva le coup, et le poing de Guo frappa le cadre d’une porte, en arrachant un morceau.
Guo fut impressionné par la vitesse et l’agilité de Cheng et comprit que, si Dong était encore plus fort que lui, tenter de l’affronter serait très risqué. Il renonça alors à l’idée de défier Dong Hai Quan.
Guo et Cheng éprouvaient tous deux un profond respect pour l’art martial de l’autre et convinrent que les meilleurs élèves de chaque système pourraient étudier l’autre discipline afin d’approfondir et de raffiner leur pratique. Par conséquent, après que Sun se fut aguerri dans l’art du Xing-yi quan, Guo l’emmena voir Cheng Ting Hua pour qu’il apprenne le Bagua Zhang.
Certaines versions de l’histoire de la venue de Guo Yun Shen pour affronter Dong Hai Quan rapportent que Dong et Guo auraient finalement bel et bien combattu. Dans cette version, Dong et Guo se seraient affrontés pendant trois jours. Durant les deux premiers, Guo n’aurait pas réussi à pénétrer la défense circulaire de Dong, mais, au troisième jour, Dong serait passé à l’offensive et aurait humilié Guo sans vraiment le blesser. Mutuellement impressionnés, ils auraient alors conclu un pacte selon lequel les pratiquants de chaque système étudieraient l’autre.
La majorité des maîtres des écoles de Bagua Zhang et de Xing-yi quan de la province du Hebei, ainsi que les lettrés du continent chinois, affirment qu’il n’y a aucune vérité dans ce récit : Dong Hai Quan et Guo Yun Shen ne se sont jamais battus l’un contre l’autre.