Après que Sun eut quitté Cheng Ting Hua en 1891, il ne suivit pas immédiatement les conseils de son professeur qui l’enjoignait de gagner directement la province du Sichuan. Il retourna d’abord chez lui et épousa Zhang Shou Xin, qui attendait patiemment son retour. Sun emmena sa nouvelle épouse dans le comté de Ding Xing, dans la province du Hebei, et commença à enseigner les arts martiaux. Lorsqu’il débuta l’enseignement, il était dans la trentaine. Beaucoup de fermiers de la région ainsi que des citadins vinrent pratiquer avec lui. Sun resta là pendant trois ans, et sa femme donna naissance à leur premier fils, Sun Xing Yi.
En 1894, il suivit finalement le conseil de Cheng Ting Hua et voyagea jusqu’au Sichuan. Là-bas, il rencontra un moine nommé Zhi Zhen et étudia la théorie du Yi Jing ainsi que le qigong des monts Emei. Après un court séjour au Sichuan, Sun gagna les monts Wudang, dans la province du Hubei. À Wudang, il étudia « l’élixir d’immortalité » du taoïsme avec le patriarche du temple Jing Xu. Le taoïste souhaitait que Sun reste au temple indéfiniment pour poursuivre ses études, mais, après deux ans loin des siens, Sun retourna auprès de sa femme et de son enfant. Au cours de ce voyage au Sichuan et au Hubei, les capacités martiales de Sun se perfectionnèrent encore, et ses connaissances littéraires s’approfondirent également.
Sun revint auprès de sa femme en 1896 et ils déménagèrent à Bao Ding, près de sa ville natale. À son arrivée, Sun fonda l’école « Pu Yang ». Il y enseigna à de nombreuses personnes et recevait ses visiteurs de façon égale, quel que soit leur rang social.
L’un des meilleurs élèves de Sun à Bao Ding se nommait Qi Gong Bo. Lorsqu’il commença l’étude du Xing-yi quan avec Sun, il ne fit absolument rien d’autre que de tenir la posture statique San Ti pendant trois ans. Beaucoup de maîtres de Xing-yi quan en Chine recommandent de passer énormément de temps sur la posture San Ti. C’était une exigence classique de la pratique d’autrefois. Si l’on se rend aujourd’hui à Bao Ding, on peut encore voir les styles de Sun pratiqués par de nombreux artistes martiaux sur place. Pendant qu’il enseignait dans sa région natale, Sun créa également une société d’études littéraires, car beaucoup d’habitants de la ville étaient illettrés.
Après avoir quitté sa ville natale vers 1899, il voyagea jusqu’à Xing Tang, une ville située à environ 120 km de Pékin, dans la province du Hebei. Sun y enseigna les arts martiaux pendant environ huit ans.
À une certaine occasion, un riche propriétaire terrien organisa une fête. Sun y assistait, et ce propriétaire faisait la démonstration de ses talents de cavalier. Sachant que Sun était un célèbre artiste martial, à la fin de son tour autour de l’enclos de l’écurie, il lui demanda s’il savait monter à cheval. Sun répondit : « Faites encore une course, et j’essaierai ensuite. » L’homme repartit donc autour de l’enclos, démontrant ses plus belles figures afin d’humilier Sun. Il termina sous un tonnerre d’applaudissements. Saluant fièrement la foule, convaincu que Sun ne pourrait pas faire mieux, il se retourna vers l’endroit où ce dernier se tenait, mais Sun n’était plus là. Il réalisa alors que Sun était assis sur le cheval, juste derrière lui. Il s’y trouvait déjà pendant toute la démonstration, et les applaudissements de la foule étaient en réalité pour lui, non pour le propriétaire.
Alors qu’il vivait à Xing Tang, un fameux bandit surnommé le « Truand volant », à cause de son qing gong (gongfu de la légèreté), sévissait dans la région. Le maire de Xing Tang alla trouver Sun et lui demanda s’il pouvait capturer le bandit. Sun se déguisa en diseur de bonne aventure et attendit au centre-ville. Lorsque le bandit apparut, Sun se lança à sa poursuite et celui-ci prit la fuite.
En périphérie de la ville se trouvait un champ planté de grandes tiges à la base épaisse. Lorsque les récoltes sont faites, la tête de ces plantes est coupée, ne laissant que les tiges robustes. Le « Truand volant » courut vers ce champ et sauta sur la récolte densément plantée pour courir sur le sommet des tiges. Il était persuadé que personne ne pourrait le suivre, mais, lorsqu’il se retourna, il vit Sun qui continuait à le poursuivre, courant lui aussi sur le sommet des tiges. Sun le rattrapa et le ramena.
L’une des pratiques fondamentales du qing gong consiste à apprendre à se déplacer rapidement sur des motifs tracés au sommet de minces piliers de bois plantés dans le sol. De toute évidence, cette pratique fut utile à Sun pour capturer le bandit. Sun Jian Yun explique que son père avait pratiqué le qing gong d’abord avec son Shaolin, puis dans le cadre de son Xing-yi quan et de son Bagua Zhang, qui comportaient tous deux un entraînement à la légèreté. Elle explique que l’un des exercices consistait à courir le plus vite possible sur une rampe légèrement inclinée. Progressivement, on augmentait l’inclinaison de la rampe, jusqu’à atteindre la verticale. Elle raconte que son père pouvait escalader un mur de dix pieds (environ 3,40 m) en trois pas, se retourner rapidement au sommet, puis sauter pour revenir au sol. Elle précise toutefois que les récits affirmant qu’il pouvait ensuite rester « collé » au plafond sont faux.
En 1907, Xu Shi Chang, le gouverneur général des trois provinces du Nord, entendit parler des capacités martiales et de l’intelligence de Sun. Au nom de la promotion des arts nationaux, il l’invita à enseigner dans le nord de la Chine. Sun emmena avec lui son jeune frère d’armes Li Wen Biao, élève de Li Cun Yi, et voyagea jusqu’au Nord pour atteindre Feng Tian et répondre à l’invitation du gouverneur. Peu de temps après son arrivée, Sun vainquit un bandit surnommé « Invincible dans les provinces de l’Est », et sa réputation se propagea dans les contrées les plus septentrionales de la Chine.
La deuxième année après son arrivée, il se prépara à monter sur un ring pour affronter un Européen. Toutefois, Xu estima que si Sun gagnait, cela vexerait les étrangers, et il annula la rencontre. Plus tard la même année, Sun quitta le Nord-Est pour retourner dans sa région natale.
En 1910, Sun décida que s’il voulait promouvoir les arts martiaux en Chine, il ne pouvait pas le faire depuis sa petite ville natale. Il se rendit donc à Pékin, où il resta durant la majeure partie des années qui lui restaient à vivre. Il loua une maison dans la partie est de la ville et fonda trois salles d’arts martiaux : deux à Pékin et une à Tianjin. Ces écoles étaient administrées par Li Wen Biao et l’un de ses élèves avancés, Li Yu Lin. Sun voyageait entre Pékin et Tianjin pour accepter de nouveaux élèves et enseigner.
Il fit aussi de nombreux courts voyages pour enseigner, à la demande de différentes écoles d’arts martiaux à travers le pays. Cependant, il conserva sa maison à Pékin jusqu’au mois précédant sa mort, lorsqu’il décida de retourner dans sa ville natale. Lorsqu’il arriva à Pékin, Sun était âgé de 48 ans. Sa fille, Sun Jian Yun, naquit le 6 juillet 1914, alors qu’il avait 53 ans.
Pendant l’été 1914, toujours à Pékin, Sun apprit que le fameux maître Hao Wei Zhen était en ville pour rendre visite à son ami Yang Jian Hou. Hao ne parvint cependant pas à retrouver Yang. Il prit une chambre dans une auberge et tomba subitement malade. Sun se rendit sur place, le fit sortir de l’auberge et le ramena chez lui. Il fit venir un médecin pour le diagnostiquer, alla chercher les médicaments et s’occupa de lui pendant toute sa maladie. À ce moment-là, Sun ignorait que Hao pratiquait le Tai-chi-chuan, il savait seulement qu’il était un artiste martial célèbre. Après sa convalescence, Hao dit à Sun qu’il le remercierait de sa gentillesse en lui enseignant son art martial. C’est ainsi que Sun apprit le style Hao de Tai-chi-chuan, auprès de Hao Wei Zhen.
En juillet 1915, le premier ouvrage de Sun, L’étude de la boxe de la forme et de l’intention (Xing-yi quan xue), fut publié. Ce fut le premier livre de l’histoire des arts martiaux chinois à expliquer la théorie martiale en lien avec la philosophie chinoise. Il existait déjà plusieurs livres sur les arts martiaux, mais aucun ne présentait la théorie de façon aussi profonde et exhaustive.
Après la parution du livre, le maître de Tai-chi-chuan Chen Wei Ming, qui enseignait les arts martiaux à l’empereur Xuan Tong, rendit visite à Sun. Ils discutèrent ensemble de la théorie des arts martiaux et s’accordèrent sur le fait que guider le qi naturel par l’intention correspondait aux propos de Mengzi (Mencius) lorsqu’il évoquait « la doctrine de l’harmonisation » et « la théorie d’une circulation sans effort ». Après cet entretien, Chen demanda à devenir l’élève de Sun Lu Tang et étudia le Xing-yi quan et le Bagua Zhang auprès de lui. Chen Wei Ming, aussi connu sous le nom de Cheng Zeng Ze, écrivit la troisième préface du livre de Sun sur le Xing-yi quan.
En 1916, les arts martiaux gagnèrent en popularité parmi les habitants de Pékin. Sun, avec plusieurs artistes martiaux locaux, ouvrit « l’amphithéâtre sportif de Pékin ». Il y donnait des cours ainsi que des conférences théoriques et des démonstrations d’arts martiaux. Il enseignait en reliant les techniques à la théorie du Yi Jing et aux philosophies du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme.
À une occasion, Chen Bao Quan, le président du collège des professeurs des études supérieures, assista à l’une de ses conférences. Après celle-ci, il alla voir Sun et ils discutèrent de la théorie du Yi Jing, de Lao Zi, de Zhuang Zi et de la pratique martiale pour le renforcement du corps. Les deux hommes parlèrent jusqu’à l’aube. Lorsque Chen évoquait sa visite à Sun Lu Tang, il disait :
« Le savoir et la compréhension du maître Sun Lu Tang comptent parmi les plus élevés de la communauté martiale, et sont d’une réelle rareté même parmi les érudits. »
La même année, en 1916, le second manuscrit de Sun, L’étude de la boxe des huit trigrammes, fut achevé.
Au printemps 1919, l’ancienne connaissance de Sun, Xu Shi Chang, le persuada d’entrer au service du gouvernement. Entre 1919 et 1924, il travailla pour le gouvernement à Pékin en y enseignant les arts martiaux. Grâce à sa relation avec Xu, Sun devint instructeur d’arts martiaux au palais présidentiel et reçut le grade de lieutenant. Peu après, il fut promu et acheva également le manuscrit de son troisième ouvrage, L’étude de la boxe du faîte suprême, en novembre 1919.
Durant cette même période, le village de Sun souffrit d’une grave sécheresse de trois ans, et les pauvres n’avaient d’autre choix que de mendier pour se nourrir. Sun retourna alors au village et annonça qu’il prêterait tout son argent à un taux d’intérêt très élevé. Les riches refusèrent, trouvant ce taux excessif, mais les plus pauvres n’eurent pas le choix et acceptèrent. Sun leur fit signer des contrats avec ce taux d’intérêt.
La même année, la pluie revint au village et tout le monde fit une bonne récolte. Sun retourna alors voir les villageois et brûla tous les contrats. Il expliqua qu’il avait fixé un taux d’intérêt très haut afin que les pauvres soient poussés à travailler dur, et que les riches n’empruntent pas.
Tel qu’il l’avait prédit lorsqu’il n’était qu’un jeune garçon, il devint un très grand artiste martial et rendit la population de son village très fière. En juillet 1921 parut le livre de Sun Lu Tang sur le Tai-chi-chuan.