Dans les arts martiaux chinois dits « internes » (neijia — taijiquan, baguazhang, xingyiquan), la ceinture comme grade codifié est à peu près inexistante historiquement. C’est une importation très récente, inspirée des systèmes japonais modernisés (judo → karaté → taekwondo), qui eux-mêmes avaient emprunté la ceinture au go/ikebana plutôt qu’à la combat tradition.

Tradition chinoise classique

Jusqu’au XXᵉ siècle : il n’y a pas de système de couleurs, aucun équivalent du blanc/jaune/orange… la “ceinture” (腰带 yaodai) est un accessoire vestimentaire, qui sert à tenir la tenue, répartir le poids, ancrer le dantian, porter une arme. la progression est maître → disciple (par lignage, cérémonie du thé), jamais par examen de grade (cérémonie du Baishi (师承 / 拜师).

Dans le neijia, la vraie compétence est “invisible” : écoute interne (tingjin), structure, intention — pas démontrable en tests spectaculaires. D’où l’absence de grades publics.

Arrivée des ceintures

À partir des années 1980-2000 :

en Chine continentale : le wushu sportif (nationalisé) adopte des grades “duan” à 9 niveaux, avec uniformes codifiés mais c’est une réforme d’État, pas traditionnelle. en Occident : la plupart des écoles internes qui utilisent un système de ceintures colorées le font pour des raisons pédagogiques / lisibilité moderne / marketing, souvent calqué sur un modèle japonais.

Un maître traditionnel chinois vous dira volontiers :

« Si tu veux une ceinture noire, va acheter un pantalon! »
 car historiquement, la ceinture n’a jamais symbolisé la progression spirituelle.

La ceinture chinoise traditionnelle est très fonctionnelle , on la place plus bas que le nombril, pile sur la zone du dantian inférieur, pour ancrer la respiration et le centre de gravité. Le nœud se met légèrement décalé à gauche, jamais au milieu (ça bloque l’axe central, considéré “voie du qi”).

où place t’on la ceinture?

(腰带 yaodai) :

On la place au niveau du dantian inférieur, légèrement sous le nombril, pas sur la taille comme une ceinture “occidentale”.Elle n’est pas trop serrée, elle sert à sentir/porter le centre, pas à “bloquer” le ventre. Le nœud est légèrement décalé sur le côté gauche (jamais au centre).

Deux explications:

Pourquoi côté gauche ?

Le côté gauche = voie du yin / non-manifesté / réserve d’énergie, on laisse l’axe central (zhong mai) libre, car c’est la colonne énergétique. On ne met jamais le nœud en face dans les styles internes → ça “bloque le qi”.

Dans certaines lignées du Bagua Zhang ou du Tai-ji, les écoles mettent le surplus de tissu vers le bas, pas vers le haut, pour “ramener l’énergie vers la terre”.

pourquoi énergétique 

logique interne / taoïste

La ceinture se place exactement sur le dantian inférieur pour sentir la respiration en “sphère” plutôt qu’en torse. Ne pas serrer : tu dois respirer dans la ceinture, pas contre elle. On dégage la ligne médiane (zhong mai) — axe central énergétique — donc pas de nœud devant.Gauche = Yin, réserve, racine → on place le nœud à gauche.C’est aussi un rappel corporel pour garder le centre vivant et bas (重心 zhongxin).

L’histoire et évolution

dans les arts internes chinois

Période Fonction réelle de la ceinture
Antiquité / dynasties classiques Tenir le vêtement, porter un couteau ou sac de médecine ; structure énergétique secondaire.
Transmission martiale secrète Ceinture = point d’ancrage → tu dois pouvoir frapper ou absorber en étant “réglé dans l’axe”. Jamais décoratif.
Écoles internes (taiji / bagua / xingyi) Purement outil de structure intérieure. Jamais marque de grade. Absence totale de couleurs.
1950–1980 (wushu nationalisé) Devient élément d’uniforme esthétique, plus martial.
Occident / écoles modernes hybrides Introduction de ceintures colorées à la japonaise → ceci est extrêmement récent et non traditionnel.

voici ce que la position de la ceinture révèle instantanément à un maître expérimenté, avant même que vous ne bougiez un seul millimètre.


 Si la ceinture est au milieu, bien centrée

Un vrai maître interne pensera immédiatement :

« Personne externe / wushu sportif / esthétique avant structure »

ou bien : « Il n’a pas conscience du zhongmai (axe central) »

ou encore : « Respiration qui monte / centre pas descendu »
→ c’est le code visuel universel de la non-internalité

 Si la ceinture est légèrement à gauche

Réaction d’un maître sérieux :

« Il connaît le dantian et la préservation du centre vide »

« Probablement une lignée interne réelle »

« Il a reçu l’enseignement du neijing (structure interne) »

 C’est un signe silencieux de maturité, compris seulement par les initiés

Si la ceinture est trop serrée

 Diagnostic instantané : perte du souffle, force morte
 “Il se crispe, il est encore dans le contrôle, pas dans le sentir”

Si la ceinture suit la respiration naturellement

“Ah. Lui, il a du qi vivant, il est entré dans la voie.”

dans un contexte de cérémonie

Dans une cérémonie, la logique n’est plus martiale ni énergétique. Elle devient rituelle.

Le centre n’est plus un axe énergétique à préserver mais un axe symbolique de neutralité, d’alignement, de respect du Ciel. On ne travaille pas le qi, on représente l’ordre cosmique.

Le maître se place en état “céleste”, pas en état “martial” il manifeste le centre, il ne le protège pas. Il devient comme “pilier du Ciel” (天柱 tian zhu) : tout doit être droit, offert, exposé. C’est un acte de présence rayonnante, pas d’introspection interne.

C’est un message visible :

“Je ne suis pas dans l’art interne de transformation, je suis dans l’office du rite et de la transmission. Je ne cache rien, je ne mobilise rien.”

Epérience personnelle

Lors du défilé lunaire sur Paris en 2014,la première fois que j’y monté, j’ai mis, pendant la journée et lors de la parade, ma ceinture de couleur jaune au milieu. Certains maîtres, viêtnamiens et chinois se venus me poser des questions sur le pourquoi au milieu et surtout pourquoi en jaune. Il faut savoir qu’en Chine, ce que signifie une ceinture jaune portée au milieu. Dans le langage traditionnel chinois, c’est un signe d’autorité centrale : jaune = couleur impériale / Terre / Centre du monde, au milieu = posture rituelle, pas martiale et cela peut être lu comme : « je représente quelque chose de central, pas simplement un pratiquant ». Pour résumer je leur dit: « 

je suis dans un cadre cérémoniel ou de représentation officielle, j’incarnes une lignée ou école avec autorisation explicite et c’est clairement une tenue rituelle/artistique, pas un signe de grade personnel ». Je leurs epliqué par la suite que, connaissant la tradition je sais très bien que cela aurait pu être mal interprété si je l’avais porté comme signe de “rang” supérieur ou personnel (limite impérial), ou l’on aurait pu pensé que j’étais 
dans un simple groupe martial ou associatif sans protocole clair (limite le bagarreur fou qui provoquerait les autres écoles sans respect) et même donné l’impression de me présenter comme “autorité centrale” sans mandat.

pour résumer

  • Si je marches en mode “cérémonial / tradition représentée” → oui, ceinture jaune au centre est cohérente, c’est la couleur de l’équilibre, de la stabilité et de la bienveillance. Porté dans ce contexte, il ne signifie pas domination ou autorité impériale, mais présence centrale, soutien, responsabilité harmonisatrice. Cela montre que l’on n’est pas dans la démonstration martiale agressive, mais dans la transmission et le rayonnement intérieur. Tant que le jaune est sobre et non ostentatoire, il exprime très justement la posture d’un maître qui incarne l’axe pivot, donc au niveau du Bagua : le point immobile autour duquel tout tourne (le Taiyi). Porté correctement, il signifie :

    « Je suis stable, enraciné, inviolable, je suis le centre » — pas « je domine ».

    Si je marches en tant que pratiquant de Bagua (démonstration martiale) → mieux vaut ceinture plus basse, nouée légèrement à gauche, même jaune, mais pas au centrelangage interne authentique. Ce qui est recherché est l’autorité silencieuse, pas l’exposition du statut.

    Mais attention

    Si tu le portes avec trop de rigidité ou de fierté, cela crie l’ego plutôt que l’axe.

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