La tortue, animal existant depuis plus de 250 millions d’années, et omniprésent dans la mémoire des hommes et des civilisations, ne sera peut-être un jour plus qu’un nostalgique souvenir. Alors souvenons-nous… Les symboles sont essentiellement attachés aux cultures et aux traditions antiques dans lesquelles puise le monde contemporain, qui reste lui aussi très chargé de symboles. Et il n’est pas étonnant de constater que les civilisations anciennes, principalement dans les régions de type rural ou montagnard, sont celles dans lesquelles les symboles ont eu le plus d’importance. Attachées aux archétypes symboliques on trouve généralement des contes ou des légendes se rapportant au caractère particulier de la tortue. Nous évoquerons des croyances, des légendes, mais aussi la cosmogonie, c’est à dire la représentation du monde et de sa création dans les civilisations anciennes. En Extrême-Orient (Chine, Japon, Vietnam, Corée, Inde, Tibet…) comme en Amérique du Nord (du Mexique jusqu’en Alaska), la tortue est avant tout le support du monde. Dans la quasi-totalité des civilisations anciennes du monde entier (dont certaines existent encore, comme le peuple aborigène d’Australie, la Chine ou le Vietnam) la tortue a toujours été essentiellement un symbole de longévité et de sagesse. Cela tient bien sûr à sa très longue durée de vie et à sa nonchalance, mais aussi à sa discrétion face aux événements qui rythment le monde. La lenteur de ses déplacements la fait également figurer comme une digne représentante de la sagesse… et de l’art d’avoir toute l’éternité devant soi.
Il est frappant de constater à quel point c’est dans la civilisation chinoise que la tortue a le plus marqué les esprits. Il faut dire que les premières traces de l’écriture chinoise remontent à environ 3500 ans et que ces idéogrammes primitifs, lorsqu’ils n’étaient pas gravés sur de la pierre, l’étaient sur les carapaces de cet animal. Par ailleurs les écritures des anciens étaient gravées pour l’éternité si le support était une carapace de tortue, plus encore que si ces symboles étaient gravés sur la pierre. Cette longévité de la tortue et la stabilité de sa carapace pendant de longs siècles après sa mort a également intrigué les devins qui lui attribuèrent une véritable connaissance de l’avenir cachée dans les motifs de sa carapace. En jetant la carapace quelques minutes dans le feu de la terre, on pouvait voir les esprits célestes communiquer avec les hommes en inscrivant des symboles par les craquelures et fêlures causées par le feu sur les carapaces. Voulant reproduire les motifs ainsi engendrés, les devins et les savants il y a 3500 ans tracèrent ainsi les premiers symboles qui devinrent progressivement les 214 clés de base permettant l’élaboration de tout le système de l’écriture chinoise. Par ailleurs la numérologie et les premiers carrés magiques furent inventés et réalisés avec l’aide des motifs et la disposition des écailles de la dossière. Les chinois furent les premiers terrariophiles au monde. Depuis plus de deux mille ans dans certaines provinces de montagne la possession d’une tortue sous son toit apporte une protection divine à la famille et au foyer. Il n’y avait pas un seul temple taoïste ou bouddhiste qui n’ait des tortues, non pour les manger mais pour protéger la vie de ceux qui y résident. Ainsi les tortues pouvaient être prélevées dans la nature pour la consommation humaine (pratique essentiellement confucianiste) mais aussi pour servir de compagnon protecteur de la famille et de l’abri.
Dans le Tao, philosophie majeure de la Chine ancienne comme de la Chine moderne, cinq éléments sont suffisants pour construire toutes les briques du monde. Ce sont le bois, le métal, le feu, la terre et l’eau. A ces cinq éléments sont associés cinq saisons (la mousson est une saison), cinq directions (les quatre points cardinaux plus l’endroit où nous nous trouvons), cinq couleurs, et cinq animaux. La tortue est l’un de ces cinq animaux. Elle est associée au nord, à l’élément eau, à l’hiver et au noir (couleur de la pureté en Extrême-Orient contrairement à l’Occident).
En Chine il existe un certain nombre de dieux qui ne sont pas des dieux au sens où nous l’entendons en Occident mais des représentations des aspects très divers de l’esprit humain. Parmi ces dieux il en est deux dont nous allons parler parce qu’ils sont liés directement à des tortues légendaires. Il s’agit du dieu des Examens et du dieu de la Longévité. Le dieux des Examens est figuré dans le ciel chinois par les quatre étoiles qui forment le Chariot de la Grande Ourse. C’est un dieu d’une laideur particulièrement marquée, le visage déformé par une horrible grimace. Dans sa main gauche il tient un boisseau, dans sa droite un pinceau de calligraphe. Il est entièrement nu à l’exception d’un pagne entourant sommairement ses hanches. Il se tient bizarrement penché en avant et dans une attitude qui rappelle un homme entrain de courir. Seul le pied droit repose au sol, ou plutôt… sur une tête de tortue. L’explication avancée est que lors de sa vie sur terre, il fut reçu premier au Doctorat, mais voyant sa laideur immonde l’empereur refusa de lui octroyer le diplôme. Au comble du désespoir et du déshonneur, il abandonna ses vêtements et tenta de se noyer mais une tortue Ngao qui passait par là le reçut sur la tête et fit de lui un dieu, l’expédiant dans le Ciel. Le dieu de la Longévité a le visage typique du vieux chinois doté d’une longue barbe et d’un énorme crâne chauve. Il est courbé mais encore debout, appuyé à une grande canne noueuse, et tient dans une de ses mains le fruit de l’Immortalité. A ses pieds se trouve une tortue et parfois un héron ou une grue, ces animaux ayant une très longue durée de vie.
Dans la cosmogonie chinoise, le monde est porté par quatre éléphants, eux-mêmes soutenus par une tortue. Cette vision du monde vient tout droit de l’Inde.
En effet en Inde nous allons retrouver la tortue portant les éléphants, comme dans la cosmogonie chinoise. Pour les hindous la création du monde revient au dieu Brahmâ. Un énorme serpent se mordant la queue est suspendu dans le vide de l’infini, symbolisant la course éternelle du Soleil dans le ciel. Sur ce serpent repose une tortue. C’est par elle que la force des cieux va se traduire dans le monde des réalisations. La tortue prend donc dans l’esprit de l’hindou le symbole de force et de pouvoir créateur. Sur cette tortue se trouvent des éléphants qui portent les trois mondes. Le monde inférieur des démons et de l’enfer, le monde intermédiaire des hommes et de la Terre, et le monde supérieur des dieux et de la félicité. C’est par la tortue que ces trois mondes existent, car elle est le lien direct entre l’univers et sa manifestation.
Toujours en Inde la deuxième des dix réincarnations de Vishnu fut sous la forme d’une tortue appelée Kurmâ qui apporta son aide à Indra pour vaincre les démons Asuras. Pour ce faire elle servit de pivot central pour permettre aux dieux de baratter l’Océan des Origines d’où naquit la liqueur de l’immortalité, l’arbre du Paradis, la médecine des dieux, la déesse du vin, les nymphes, le cheval divin, l’éléphant royal, et tant d’autres merveilles… La même scène est également représentée de façon magnifique sur un bas-relief du Temple d’Angkor au Cambodge.
Au Vietnam, au sud de la vieille ville de Hanoï, se trouve un petit lac qui constitue un véritable paradis au milieu de la ville. Ce lac se nomme Hoan Kiêm, le Lac de l’Epée Restituée. C’est un des endroits les plus romantiques du monde ! On peut se promener un après-midi en flânant au gré des petits sentiers boisés qui l’entourent. Ce Lac portait autrefois le nom de Lac Thuy, c’est à dire le Lac Vert. Pas un seul vietnamien n’ignore la légende de ce petit lac ! Un jour un jeune pêcheur trouva en pleine mer accrochée dans ses filets une lame d’épée sans manche et qui portait gravée l’inscription » Selon la volonté du Ciel » . Il alla offrir cette lame d’épée au fils d’un très riche personnage qui, après des recherches, retrouva le manche de la lame. L’épée ainsi reconstituée servit pendant une dizaine d’années à ce notable dans la guerre contre les envahisseurs chinois. Ce notable s’appelait Lê Loi. Il vécut réellement, de 1385 à 1433. Après avoir repoussé l’envahisseur chinois, il devint roi en 1428 sous le nom de règne de Lê Thài Tô. Afin de profiter de cette paix enfin acquise il vint aussitôt s’installer dans la ville qui se nomme maintenant Hanoï. Le Roi aimait se promener dans une petite embarcation au milieu du Lac Vert. Mais il ne put conserver l’épée bien longtemps. Quelques jours après la fin de la guerre, de son petit bateau il vit soudain émerger une tortue géante du fond de l’eau. Terrifié, le roi dégaina son épée, la brandit devant lui mais la tortue fut très rapide et sans le blesser lui arracha l’épée avec son bec avant de disparaître pour l’éternité dans les profondeurs du lac.
Le roi se dit alors que le Dieu Tortue d’Or était certainement le véritable propriétaire de l’épée magique, que celle-ci la lui avait seulement prêté et que la paix maintenant revenue, il devait la lui restituer. C’est ainsi que naquit la légende du lac de l’Épée «restituée» à son propriétaire divin. Dans ce lac se trouvent réellement des tortues. Hélas, il n’y en a plus guère aujourd’hui. Au milieu du lac se trouve un tout petit îlot minuscule, et il est désormais rarissime de voir une tortue y prendre un bain de soleil. A chaque fois cet événement est vivement apprécié par la population de Hanoï, tellement les tortues qui autrefois peuplaient abondamment ce lac sont devenues rares. Un tel événement est toujours considéré comme un bon présage pour les semaines à venir.
Au Japon, terre de l’Art du Sabre, la tortue est encore symbole de longévité et de stabilité du monde. Une très ancienne légende raconte qu’une tortue, Minogamé (蓑亀), vit depuis 10 000 ans, couverte d’un manteau d’algues au fond d’un lac. Cette légende est peut-être à rapprocher de la légende vietnamienne du Lac de l’Epée Restituée. Dans cette terre japonaise ou fleurirent les arts martiaux, l’art du sabre (le Ïaîdô) est encore très pratiqué même aujourd’hui. Les sabres sont toujours décorés. Et très souvent reviennent deux animaux : la Grue et la Tortue, qui représentent les deux aspects complémentaires et radicalement opposés de l’univers, cet oiseau étant symbole de la liberté dans le ciel et du détachement de l’esprit face aux événements du monde, et la tortue symbole de l’attachement à la terre. Par ailleurs ces deux animaux vivent très longtemps, la grue tout comme la tortue.
En plein cœur de l’Ile de Java en Indonésie se trouve le temple bouddhiste de Borobudur. Ce temple érigé au IX° siècle est un des plus grands chef-d’œuvre de l’art bouddhique. Cet immense temple, à l’aspect pyramidal et dans lequel on ne demeure pas, est une spirale initiatique menant du sol représentant le monde matériel jusqu’à la pointe représentant le monde spirituel. Dans le bouddhisme tout le travail d’un boddhisattva est de parvenir à la réalisation de son propre Eveil puis de mener ensuite patiemment tous les êtres vivants, y compris les animaux, jusqu’à leur propre Eveil et à la cessation de la souffrance. Tout au long de ce parcours montant doucement en spirale dans le temple de Borobudur se trouvent d’immenses fresques de pierre qui sont autant de panneaux, chacun d’entre eux rappelant une histoire du
Bouddha historique ou de grands boddhisattvas du passé
Le panneau n°192 du temple de Borobudur relate l’histoire d’une tortue. Un jour, alors qu’un monstre marin attaqua un bateau tous les occupants tombèrent à l’eau. Un boddhisattva réincarné sous la forme d’une tortue prit alors les naufragés sur son dos et les reconduisit sur la terre ferme. Ceux-ci, lui devant la vie, se mirent alors en cercle autour de la tortue et l’écoutèrent enseigner les paroles du Bouddha. Ici encore on reconnaît à la tortue un pouvoir divin élevant les hommes vers une vie meilleure.
Chez les indiens d’Amérique du Nord, la tortue, encore une fois par la rondeur de sa carapace, représente la Terre Mère nourricière et par laquelle la race indienne est apparue. Pour les Iroquois d’Amérique du Nord, dans des temps très anciens la tortue sauva la Mère, sorte d’Eve des indiens, lorsque celle-ci tomba dans l’océan. Recueillant la Vierge primordiale elle la conserva hors de l’eau sur sa carapace. Ainsi pour les Iroquois la Terre est une gigantesque tortue flottant sur la mer. Et sur sa carapace, la Vierge pu enfanter et devenir la mère des hommes, devenant ainsi la Mère.
De nombreux pétroglyphes du néolithique représentent la tortue en Amérique du Nord et jusqu’à Hawaï.
Jusqu’au XX° siècle chez les indiens la tortue est très présente dans les chants, les contes, les légendes tribales, et jusque dans l’observation des rituels. Chez les Tohono O’odham (le Peuple du Désert) d’Arizona et les Comcáac du Désert de Sonora c’est la tortue qui a planté le cactus saguaro géant et en est resté la gardienne. Pourtant, chez ces indiens du désert de Sonora et d’Arizona, la tortue était consommée puis les restes utilisés de toutes les façons possibles, comme boîtes à bijoux, instruments de musique, jouets de bébés, poupées de jeunes filles, ou bien encore entraient comme ingrédients dans les préparations pharmaceutiques.
Pourtant il existait une régulation de cette consommation par la croyance en des tabous. Chez ces indiens du désert, avoir une tortue en captivité chez soi c’était s’attirer le malheur. Plus aucune herbe ne pouvait pousser et la malédiction tombait sur le village, les enfants pouvaient ne plus grandir, les femmes ne mettre au monde que des filles. Un nid de tortues était un lieu sacré qu’il était interdit de toucher. Et le ramassage de tortues à des fins alimentaires devait se faire uniquement sous certaines conditions, en des lieux et des moments précis. Transgresser une interdiction concernant les tortues était l’assurance de s’attirer la maladie. Les populations de tortues se maintenaient donc malgré tout, ce qui n’est plus le cas depuis l’arrivée de l’homme blanc et de la « civilisation ». La tortue attirait aussi le malheur sur l’homme impoli, criminel, ou tout simplement malfaisant. Et seule une tortue pouvait conjurer les sorts qui lui étaient attribués.
Une légende Comcáac raconte l’histoire d’un homme du nom de Ziix Taaj, doté de pouvoirs surnaturels, qui fut aperçu un jour jouant à un jeu de société avec une tortue assise face à lui. Et tous deux discutaient ensemble. La tortue gagnait de nombreux tours, et Ziix taaj devint furieux et se mit à hurler. Il jeta alors une serviette sur elle et la frappa longuement, mettant fin de cette façon à la partie. Les témoins étaient effarés. Depuis, plus aucun Comcáac n’ose regarder une tortue dans les yeux, celle-ci comprenant la langue des Comcáac et parlant certainement depuis des lunes avec leurs ancêtres.
Chez les Inuits du nord glacial du Canada, qui sont aussi des indiens et dont le nom signifie simplement « les hommes », la tortue est associée à la terre, Mère procréatrice de la lignée de tous les « hommes ». Dans cette civilisation très particulière, on rappelle en permanence aux enfants leur attachement à leurs origines en conservant un petit segment de leur cordon ombilical sur eux. Les fillettes le portent dans un sachet de peau en forme de tortue. Et pour les petits garçons ce sachet a la forme d’un lézard.
Ce sentiment de protection apporté par la présence d’une tortue se retrouvait aussi dans certaines tribus africaines pour lesquelles elle était élevée au rang de véritable totem vivant du village.
Dans la mythologie Sénoufo en Côte d’Ivoire, c’est encore une tortue qui porte le monde sur son dos. La tortue devient ici symbole de sagesse et de connaissance, car dans sa carapace elle possède toute la connaissance du monde.
Dans la Grèce ancienne, la tortue est vue de l’intérieur. Sa dossière est figurée par la voûte céleste et ses quatre pattes sont les quatre piliers du monde. Ainsi la tortue protège le monde, lui assurant stabilité et équilibre. Si on se souvient que le ciel a toujours été représenté comme une voûte hémisphérique et la Terre comme une étendue plate de forme circulaire, on comprend vite pourquoi chez tous les peuples du monde la tortue est une représentation de l’univers. Entre le dôme de sa dossière et la surface plate de son plastron, elle était l’image parfaite du monde intermédiaire dans lequel vivent les hommes entre l’univers étoilé et le sol terrestre. La tortue est ainsi un véritable fil reliant le Ciel et la Terre. Elle doit donc nécessairement posséder de fabuleux pouvoirs de connaissance et de divination. Elle doit donc aussi être un merveilleux médium capable de fournir aux hommes les secrets des dieux.
Il faut bien comprendre que dans toutes les sociétés primitives ou du moins très anciennes, le monde est un espace clos refermé sur lui-même. Il y a le monde terrestre, plat, situé sous nos pieds, riche et fécond mais aussi porteur des plus grands drames par ses colères et son feu dévastateur. Au-dessus il y a une voûte étoilée, pleine de mystères et de silence, semblant immobile mais dans laquelle on aperçoit certaines étoiles se déplaçant sur le fond immuable, et parfois des événements soudains comme des étoiles nouvelles d’une brillance extrême et ne durant que quelques jours (les comètes et aussi certaines étoiles que l’astronomie moderne nomme les supernova). Ce ciel, qu’on ne peut toucher avec les doigts même du sommet des plus hautes montagnes, est donc un monde où vivent des esprits mystérieux et dotés d’étranges pouvoirs. Ce n’est pas étonnant que dans toutes les civilisations anciennes, les étoiles et leurs positions sont intimement liées à la présence des dieux, des héros, et des animaux légendaires. Entre les deux se situe l’homme, tout petit, perdu au fond de ses pensées face à ce monde immense tant sous ses pieds qu’au dessus de sa tête.
Durant toute une vie humaine, jusqu’au XX° siècle et partout dans le monde, le ciel semblait immuable au-dessus de nos têtes et progressait à pas très lents au-dessus des événements qui constituent l’histoire sous nos pieds. La tortue, par sa forme et sa nonchalance, constitue un symbole parfait de la marche et de l’aspect du monde. Sa dossière voûtée et qui plus est circulaire, parsemée de motifs, semble être une représentation en miniature de la voûte céleste.
Son plastron, très plat, qui lui sert de base et d’appui au sol semble également être une image parfaite du sol qui nous entoure jusqu’à l’horizon visible à nos yeux. Entre les deux se situe l’être vivant, la chair, le sang, le mystère de la Vie. Les quatre pattes de la tortue, avec leur couleur et leur texture qui rappelle si étrangement celles des éléphants, sont les quatre piliers qui permettent à cette voûte de se tenir parfaitement au-dessus du sol. Une tortue qui se retourne est une abomination et un signe de funeste présage car elle représente alors la chute du ciel et le bouleversement du monde.
Il est important aussi de se souvenir que naguère encore dans la plupart des régions du monde l’espérance de vie des hommes ne dépassait pas quarante ou cinquante ans. Or la tortue est un animal dont la durée de vie est souvent le double ! Si on la voyait naître on ne la verrait pas mourir. Pour un homme, elle représentait donc presque un être immortel et doté de pouvoirs étranges lui permettant cette durée de vie inimaginable pour un être humain.
Ainsi elle représente donc un symbole de longévité… mais ce fut à son détriment ! Car il devint évident que se nourrir de la chair de la tortue constituait non seulement une source de force et de sagesse mais aussi une assurance de longévité.
fABLE CHINOISE
Bo bie qian li » (跛鱉千里)
La tortue boiteuse qui parcourt
1 000 li (500km)
La contrepartie chinoise de la fable Le lièvre et la tortue met en vedette une tortue boiteuse et six chevaux. Cette histoire a aussi inspiré le proverbe (ou chengyu) Bo bie qian li (跛鱉千里) qui fait l’éloge de la persévérance et des efforts inlassables pour atteindre un but.
Il y a très longtemps, six chevaux qui vivaient dans une région montagneuse de la Chine du Centre décidèrent un jour de quitter leur habitat pour en trouver un meilleur. Après avoir parcouru une vaste étendue de forêt sans avoir aperçu de sentier, les six étaient en grande discussion et n’arrivaient pas à décider de la route à emprunter. Soudain, ils entendirent : « Bonjour! Comment ça va? », murmuré par une tortue boiteuse qui avançait petit à petit sur un sentier sinueux.
« Où vas-tu? », lui demanda un des chevaux.
« On m’a dit que, dans le Sud, il existe un paradis pour les animaux. Je suis en route vers cet endroit », lui répondit la tortue.
« Sais-tu où il se trouve exactement? », répliquèrent les autres, tous ensemble.
« Pas exactement, rétorqua-t-elle. Probablement à 1 000 ou 2 000 li [1 li = 500 m] d’ici. »
« À voyager à un rythme si lent, crois-tu pouvoir atteindre cet endroit? », questionna l’un des chevaux.
« Bien sûr! Mais pour cela, il faut que je continue d’avancer », s’exclama la tortue.
Après cette conversation, la tortue poursuivit sa longue marche, pendant que les six s’engagèrent dans une discussion animée pour trouver un raccourci menant au paradis. Le cheval rouge suggéra d’aller vers le sud, le gris voulait aller vers l’ouest, alors que selon le noir, l’est semblait plus prometteur. Pour ce qui est des trois autres, ils discutaient de la meilleure action à prendre. La discussion se poursuivit longtemps dans la forêt où les chevaux avaient rencontré la tortue boiteuse. Pendant ce temps, la tortue continuait allègrement sa route vers le sud.
Finalement, trois ans plus tard, la tortue trouva le paradis légendaire et s’y installa. Dans ce paradis, elle ne vit toutefois aucun des six chevaux qu’elle avait rencontrés dans les bois. Chaque matin, elle montait au sommet d’une colline et regardait vers le nord en espérant voir venir les chevaux. Ils n’apparurent jamais.
Aujourd’hui, Bo bie qian li sert à encourager les gens qui vivent une situation difficile à poursuivre résolument leur objectif.
tortue noire du nord
Genbu, la Tortue noire du nord, Guerrier Noir du Nord (北方玄武) ou Xuanwu (玄武) est un des quatre symboles des constellations chinoises. L’ensemble de son entité n’est pas seulement la tortue elle-même, mais à la fois la tortue et le serpent. Elle représente le nord et l’Hiver.
Elle est habituellement représentée à la fois comme une tortue et un serpent, et plus particulièrement avec un serpent enroulé autour d’une tortue.
LES SEPTS MAISONS LUNAIRES DE LA TORTUE NOIRE
– La Louche 斗 (Nandou), Sagittaire
– Le Boeuf 牛 (Niu), Capricorne
– La Dame 女 (Nu), Verseau
– Le Néant 虛 (Xu), Verseau
– Le Toit 危 (Wei), Verseau et Pégase
– Le Campement 室 (shi), Pégase
– Le Mur 壁 (Bi) Pégase
ORIGINE
Dans la Chine ancienne, la tortue et le serpent sont des créatures spirituelles, symbole de longévité. Au cours de la dynastie Han, bien souvent, les gens portaient des pendentifs en jade sous la forme de tortues.
Dans la légende taoïste il est dit que Xuanwu était le prince d’un empereur chinois. Toutefois, il n’était pas intéressé à monter sur le trône, mais a décidé d’étudier le Tao. À l’âge de 15 ans, il a quitté ses parents à la recherche de l’illumination par la voie du Tao. Il aurait finalement obtenu le statut de dieu et été adoré comme tel dans la partie nord du ciel.
LA TORTUE, OUTIL ANCESTRAL DE LA CALLIGRAPHIE CHINOISE
Les premières découvertes sur la calligraphie chinoise ont été faites à Anyang, dans la province du Henan, où des fragments d’os et de carapaces de tortues datant de la dynastie Shang (1650-1066 avant J.-C.) y ont été trouvés. Ceux-ci représentaient le cosmos pour les anciens chinois et servaient principalement à la divination.
Il y a 3.000 ans, les devins gravaient sur des os et des carapaces d’animaux, notamment les tortues, les questions qu’ils voulaient poser aux Dieux. Ces carapaces étaient alors exposées au feu faisant apparaître des craquelures. Il s’agissait des réponses des Dieux que les devins interprétaient. Chaque marque correspondait alors aux plus anciennes écritures chinoises.
Il y a plusieurs centaines d’années, un « lettré » reçu de son pharmacien un sachet de vieux os de fossiles à broyer pour se soigner. Intrigué par les gravures sur les fragments d’os, il décida d’acheter tous les stocks des pharmaciens de sa ville pour les étudier. Depuis, 5.0000 signes ont été répertoriés et les chercheurs ont mis en évidence des milliers de carapaces et d’os de tortues. Chaque découverte a été répertoriée, ce qui représente près de 2.000 caractères, ayant une ressemblance avec les caractères actuels.
Au cours de l’Histoire de Chine, de nombreuses civilisations et empereurs ont tenté d’unifier l’écriture chinoise. Les Zhou occidentaux (西周 xī zhōu, 1046-771 av. J.C.) ont été les premiers à essayer d’unifier l’écriture chinoise au alentour de 800 avant Jésus Christ. Pour cela, les fonctionnaires auraient, à l’aide de lamelles de bambous, catalogué plus d’un millier de caractère. Le but était de permettre aux gens de la cour et aux différentes administrations du pays d’en faire usage.
Cependant, aucun répertoire de ce type n’a été retrouvé dans les fouilles archéologiques, mais les chroniqueurs chinois de l’époque en font mention. Il semble que, selon les écrits des chroniqueurs, les caractères soient stylisés et uniformes. Appelés « dà zhuàn » ou écriture de « grand sceau », ils étaient également appelé « grande sigillaire ». Cependant, le style était peut être évolué, mais les caractères étaient de tailles inégales et les tracés peu réalistes.
Les caractères archaïques ont subit une longue évolution pour arriver aux caractères actuels. D’abord gravé sur des os et des carapaces, des caractères ont été trouvé sur des pierres, du bronze puis du bambou,. Par la suite, avec l’évolution des techniques et de la société chinoise, les signes ont été ensuite écrit sur de la soie, du papier et sur ordinateur, grâce au pinyin. Ces changements de support ont montré le passage du couteau du graveur au pinceau du lettré, mais ces modifications de supports ont également modifié les caractères.
leurs règnes. Ces 3.000 années de transformation ont aboutit à des caractères qui semblent bien loin des anciens caractères figuratifs. Seuls les Chinois parviennent à reconnaître les caractères actuels, tels que le « croissant de la lune », ou les éléments du « poisson ».
Les outils du graveur de sceau sont semblables à ceux qui ont servit à graver les caractères sur des supports durs. Pour cela, le graveur choisit une pierre, puis trace à l’encre les caractères qu’il va graver en creux ou en relief. Un caractère désigne un mot, deux caractères peuvent être associés pour désigner un mot nouveau. Exemple : soleil 日+ lune 月= clarté 明. D’autres associations de caractères désignent des idées ou des actions.
Les caractères sont prononcés différemment d’une région à une autre, en raison des différentes ethnies, ce qui conduit le gouvernement à uniformiser la prononciation des caractères à l’école, en 1958. La transcription en lettre latine est créée, appelé le mandarin, il s’agit de la langue de Beijing.
Trionyx de Chine
Pelodiscus sinensis, la Trionyx de Chine ou Tortue à carapace molle de Chine est une espèce de tortues de la famille des Trionychidae. C’est une tortue d’eau douce qui a une vaste répartition allant des bassins de l’Oussouri et de l’Amour en Russie, les deux Corée, la Chine, le Japon jusqu’au Vietnam. Mais c’est aussi une espèce menacée à l’état sauvage car elle a été abondement prélevée dans la nature pour être consommée par les hommes et être employée dans la pharmacopée traditionnelle chinoise. Depuis la fin du xxe siècle, de gros investissements ont été faits dans de grandes stations d’élevage capables de mettre sur le marché des centaines de millions de trionyx d’élevage.
L’épithète spécifique sinensis qui est composé de sin[o], « Chine », et du suffixe latin -ensis, « qui vit dans, qui habite », lui a été donné en référence au lieu de sa découverte.
Description
La tête est assez épaisse, avec deux yeux ronds, prolongée par un nez, conique à la base et tubulaire à l’extrémité qui leur permet de respirer discrètement en surface de l’eau. La gueule n’a pas de dent mais elle est pourvue de mâchoires tranchantes. Le cou est long et peut rapidement s’étirer pour attraper une proie. Les pattes se terminent par cinq doigts palmés dont les trois intérieurs sont dotés de griffes acérées. La tête et les membres peuvent être rétractés à l’intérieur de la carapace. Comme tous les reptiles, sa température interne varie et s’accorde à la température ambiante. Son métabolisme décline fortement quand la température de l’eau descend en-dessous de 20 °C. Elle cesse ne se nourrir à une température inférieure à 15 °C et entre en hibernation en s’enfouissant dans la boue quand la température est inférieure à 10 °C. En plus des poumons pour respirer l’air, elle utilise un organe pharyngé avec des branchies semblables à des villosités pour obtenir l’oxygène de l’eau ambiante. Ce qui lui permet d’hiberner sous l’eau pendant de longs mois.
C’est une tortue très vive, bonne nageuse, vorace, dotée d’un assez mauvais caractère et qui cherche à mordre lorsqu’elle est manipulée. Certaines populations sont plus agressives que d’autres, comme celle du fleuve Rouge au Vietnam.
Les journées ensoleillées d’été, elles montent sur la berge pour s’exposer au soleil durant 2 à 3 heures par jour. Elles se débarrassent ainsi des pathogènes de surface (bactéries et champignons) et la lumière stimule le métabolisme du calcium et du phosphore nécessaire à leur carapace osseuse.
Alimentation
La tortue à carapace molle est principalement carnivore : elle se nourrit de poissons, crevettes, écrevisses, mollusques, insectes vivants ou morts, de charognes, mais aussi de plantes aquatiques et de graines.
Les tortues à carapace molles sont voraces et si elles manquent de nourriture, elles peuvent s’entre-dévorer5. Durant le jour, elles se cachent dans l’eau ou s’enfouissent dans le limon, et sortent la nuit pour chercher leur nourriture. Elles ont une disposition agressive comme certains carnivores mais plongent se cacher sous l’eau lorsqu’un bruit ou une ombre d’homme se produisent.
Reproduction
Les tortues à carapace molle atteignent leur maturité sexuelle entre 4 et 6 ans. Elles s’accouplent aussi bien à la surface que sous l’eau. La saison de reproduction va du début du printemps jusqu’à la fin de l’automne. C’est à cette époque qu’elles peuvent bénéficier de la plage de températures la plus appropriée pour la reproduction de 25 à 32 °C.
Pour s’accoupler, le mâle s’agrippe sur la femelle, tout en lui mordant violemment le cou et les membres. La femelle peut conserver dans ses oviductes des spermatozoïdes viables pendant environ six mois. Elle pondra entre 2 et 5 fois par an dans un trou sur la rive, qu’elle creusera et rebouchera. Les nids se composent de 8 à 30 œufs sphériques, blancs, d’environ 20−24 mm mm de diamètre.
La durée d’incubation varie entre 55 et 60 jours. Les nouveaux nés ont une dossière presque ronde, olivâtre, portant des ocelles noirs cerclés de jaune clair et plusieurs lignes longitudinales de petits tubercules. Les jeunes peuvent grandir très vite, sans doute pour échapper aux prédateurs, et dans les élevages, les juvéniles de 5 g atteignent 1 000 g après une seule année d’engraissement.
Chez les tortues la température peut « forcer » la détermination du sexe. Une étude scientifique chinoise de 2019 laisse penser que l’embryons de P. sinensis dispose, durant un certain temps, d’un certain pouvoir de « choix » de sa destinée sexuelle, pouvoir qu’il exerce en se déplaçant vers une zone un peu plus chaude ou fraîche dans l’œuf. Chez cette espèce si tous les embryon peuvent se positionner dans un endroit de l’œuf où la température n’est ni trop chaude ni trop froide (29 °C) pour eux, alors le sex-ratio sera à la naissance à peu près parfait.
Si cette hypothèse est confirmée chez d’autres espèces de tortues, ce comportement pourrait contribuer à sauver certaines espèces face au réchauffement climatique, au moins si la température ne monte pas trop, faute de quoi, il finirait par ne rester que des femelles qui ne seraient plus fécondées, ce qui condamnerait l’espèce. Bien que minuscules, l’embryon se montre déjà capables de détecter de petites différences de température et de s’installer dans la partie de l’œuf lui donnant la meilleure chance de survie».
Mixtion orale
Des chercheurs de l’Université de Singapour ont montré que cette tortue excrète l’urée seulement à 6 % par le cloaque et à 94 % par la gueule en effectuant des mictions orales dans de l’eau, via sa cavité buccale. Cette particularité est permise par la présence d’un transporteur d’urée débouchant dans la muqueuse buccale alors qu’il est habituellement exprimé dans les reins.
La miction via la vessie et le cloaque est consommatrice d’eau. Cette faculté d’uriner par la bouche économise donc de l’eau, ce qui permet à la Trionyx de Chine de vivre dans des eaux de mauvaise qualité car elle a moins besoin d’en ingurgiter, ce qui limite l’exposition de son système digestif au manque d’eau et à la pollution. Elle peut aussi évoluer dans de l’eau salée sans compromettre son équilibre osmotique.
Croissance
La croissance de la tortue à carapace molle est relativement lente dans la nature. Par exemple, dans le bassin du Yangzi Jiang, la période d’hibernation peut durer six mois, parce que la température de l’eau est inférieure à 25 °C. Il lui faudra 4-5 ans pour atteindre une taille commercialisable.
Mais dans des stations d’élevage où la température de l’eau est maintenue aux environs de 30 °C, avec de l’eau et de la nourriture de bonne qualité, la croissance est rapide et l’animal peut atteindre la taille de 400 g, commercialisable, en 8 à 12 mois.
Habitats
Les tortues molles de Chine vivent en eaux douces à faible courant : rivières, lacs, étangs, toute pièce d’eau où poissons et crevettes sont disponibles. Elles sont de très bonnes nageuses. Elles peuvent monter sur la terre ferme pour se mettre au soleil ou pour pondre.
Répartition
La trionyx de Chine a une large aire de répartition, s’étendant du nord au sud de l’Asie orientale en Russie du sud-est (bassin de l’Oussouri et du fleuve Amour) dans les deux Corée, en Chine dans les provinces du Anhui, du Fujian, du Gansu, du Guangdong, du Guangxi, du Guizhou, de Hainan, du Hebei, du Henan, à Hong Kong, du Hubei, du Hunan, du Jiangsu, du Jiangxi, du Shaanxi, du Shandong, du Shanxi, du Sichuan, du Yunnan et du Zhejiang ; à Taiwan ; au Japon dans les îles Honshū, Kyūshū et Shikoku. au Viêt Nam.
Elles ont été introduites et se sont naturalisées au Japon dans les îles Bonin et Nansei, en Thaïlande, en Malaisie, à Singapour, en Indonésie, au Timor oriental, aux Philippines, aux îles Mariannes du Nord, à Guam, à Hawaï et en Espagne (au Sud, dans les marais du Guadalquivir).
En France, les individus présents dans le milieu naturel sont des animaux échappés de captivité ou relâchés volontairement. Cependant, contrairement à la Tortue de Floride, sa présence en milieu naturel est anecdotique et ne semble pas présenter de risque de naturalisation.
Statut de conservation UICN
Dans la Liste rouge des espèces menacées de l’IUCN, Pelodiscus sinensis est classée « espèce vulnérable ». On assiste à un déclin continu des populations sauvages.
Selon les chercheurs Shi haitao et al (2008), l’une des principales menaces à la survie des tortues asiatiques est la demande en Chine de tortues à des fins de consommation alimentaire et médicinale.
La nouvelle prospérité chinoise a réactivé les anciennes routes commerciales vers l’Asie comme les doigts d’une main, pour ramener vers le marché chinois une multitude d’espèces sauvages de tortues. On peut voir sur les marchés de produits frais, ces animaux vivants horriblement maltraités, attendant d’être vendus pour l’alimentation des hommes ou pour servir de remèdes à la médecine chinoise traditionnelle (James E. Barzyck).
Élevage
La tortue molle Pelodiscus sinensis est l’espèce de tortue à être la plus communément élevée en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est. Plus de 1500 méga-fermes d’élevage existent dans le sud de la Chine. Des fermes d’élevage de tortues molles existent aussi dans la Russie extrême-orientale, la Corée, Timor (Indonésie), Japon, et Thaïlande.
Les aliments pour tortues sont faits de poissons de faible valeur marchande, de crevettes, vers, escargots, de granulés ou de composition maison (mélange de son de riz, patate douce, tourteaux de soja et d’enzymes digestives).
Utilisations
Alimentaire
La tortue molle Pelodiscus sinensis est très appréciée pour sa chair délicate dans tous les pays d’Asie orientale. Selon la description de China Daily « Les tortues à carapace molle sont connues pour leur goût merveilleux, leur grande valeur tonique et même leur « effet magique » pour améliorer la virilité. Ils figurent sur la liste des prescriptions de certains médecins traditionnels pour les patients souffrant de faiblesse physique, en particulier pour les femmes après la grossesse ».
Les recettes chinoises de soupe de tortue à carapace molle, consistent toutes essentiellement à blanchir la tortue dans de l’eau à 80 °C, puis à couper l’animal en morceaux et à faire frire avec des morceaux de poulet, de l’oignon, du gingembre, de la bière (ou du vin de céréale), des baies de goji, du sel, du poivre, du sucre etc. (voir recette en ligne, ou recette traditionnelle « cruelle »). En Corée, une soupe de carpe et de tortue à carapace molle, nommée Yongbongtang, est une spécialité qui fait la réputation de la ville de Yeoju.
Dans un rapport de 1930, Soame Jenyns indique que les restaurants de Canton les avaient importées du Guangxi en grand nombre, et qu’elles « étaient mangées avec des amandes, rôties à la sauce chili ou frits avec des pousses de bambous, elles étaient considérées comme de grandes délicatesses ».
En raison de la demande croissante et de la chasse excessive, le prix de Pelodiscus sinensis en Chine a grimpé en flèche au milieu des années 1990. Pour ramener les prix à un niveau plus abordable, les autorités chinoises ont fait le choix d’investir dans de grandes stations d’élevage de tortues et d’inonder le marché de centaines de millions d’animaux d’élevage.
L’enquête de terrain de Shi Taito et al, menée auprès des 1 500 méga-fermes d’élevage de tortues, a conduit à estimer en 2008 que plus de 300 millions de tortues sont vendues par an, pour une valeur de 750 millions USD. Bien que la majeure partie de ces tortues soient des tortues à carapace molle commune Pelodiscus sinensis, de nombreuses autres espèces sont également élevées, y compris des espèces en danger critique d’extinction. Mais ces données ont été établies à partir des 46 % des fermes qui ont répondu aux enquêteurs. En tenant compte des 54 % de celles qui n’ont pas répondu, les chercheurs estiment le commerce des tortues captives est probablement une industrie de plusieurs milliards de dollars. En raison de la compétition entre gros producteurs, les techniques d’élevage sont tenues secrètes par chacun.
Médicinales
Parmi les 64 substances animales de la première pharmacopée chinoise, le Shennong bencao jing, figure la carapace de tortue molle (鳖甲 Biē jiǎ). Elle est réputée « Traiter les concrétions, conglomérations, les duretés, accumulations dans le cœur et l’abdomen, le froid et le chaud, glomus pi, polypes, érosion génitale, hémorroïdes, et la chair maligne ».
Le médecin et pharmacologue Li Shizhen à la fin du xvie siècle, a consacré une longue notice aux tortues à carapace molle (水龟 shuigui) qui continue à faire autorité (Bencao gangmu). La carapace de trionyx de Chine 龟甲 guijia est bonne pour la carence en yin et la faiblesse du sang (阴虚血弱) ; elle est classée parmi les drogues « toxique » (youdu 有毒) c’est-à-dire ayant une valeur thérapeutique puissante. Par contre la chair rou 肉 est classée non toxique (wudu 无毒) c’est-à-dire un produit à consommer dans un régime diététique, visant à rétablir l’équilibre du corps et la circulation de l’énergie. Diverses recettes de cuisine sont données. Tout comme le médecin hippocratique, le médecin et pharmacologue chinois, disposait en plus du premier registre de soins qui relève d’une thérapeutique d’intervention, d’un second registre pour s’opposer à la maladie : le régime du malade.
La carapace de la trionyx de Chine est récupérée, nettoyée, séchée au soleil. Elle est employée crue ou cuite, au four dans du sable, puis préparée au vinaigre.
Selon l’ouvrage de Pharmacopée chinoise publiée par You-wa Chen en 2008, le remède (鳖甲 Biē jiǎ), de carapace de trionyx a pour :
Fonctions
– Nourrir le yin et supprimer le yang hyperactif
– Assouplir et disperser les nodules ou tumeurs
Indications
– Fièvre vespérale chronique, sueur nocturne
– Hépatomégalie, splénomégalie
Le sang de tortue 龟血 gui xue est aussi un remède traditionnel pouvant se prévaloir des meilleurs ouvrages anciens (Yaoxinglun 药性论 et Bencao gangmu, 本草纲目).
Médecine populaire
Une croyance répandue en Asie orientale veut que le sang de tortue ou de serpent peut « nourrir les reins » et stimuler le tonus sexuel de l’homme. La bile et le sang frais d’animaux sauvages, agressifs et dangereux, sont des produits d’une extraordinaire puissance symbolique. Les jeunes occidentaux qui parcourent le Vietnam, Taiwan, le Japon ou la Corée, adorent raconter sur leur blog, comment ils ont bu du sang frais de tortue ou de serpent, comment ils ont vaincu courageusement leurs répulsions naturelles et les frissons de plaisir que ces transgressions leur ont fourni.
Philippe Pons dans Le Monde du , indique que d’après le directeur d’une entreprise de pharmacopée traditionnelle de Tokyo, « Les potions à base de sang de trionyx, tortue à carapace molle recherchée pour la délicatesse de sa chair, représentent 85 % des ventes. Leur consommation activerait la circulation du sang et les émissions séminales ».
Pour justifier les performances époustouflantes de ses sportifs, au début des années 1990, l’entraîneur chinois Ma Junren déclarait que ses athlètes prenaient des décoctions à base de sang de tortue ou des soupes de chenilles (S. Mandard, Le Monde, ).
En Chine populaire, le vieux fond de croyance populaire n’a pas disparu. Il est comme la pharmacopée traditionnelle de l’Antiquité très lié au « milieu d’alchimistes et de possesseurs de recettes et méthodes plus ou moins magiques, de guérisseurs que l’on a l’habitude de rapprocher des pratiques et des représentations taoïsantes ». Dans les années 1950, les efforts du régime communiste pour faire rentrer la Chine dans la modernité se sont faits en préservant malgré tout la médecine traditionnelle chinoise et le vieux fond culturel de l’antiquité. Car accepter entièrement la médecine scientifique moderne, qu’ils appellent « médecine occidentale », c’était reconnaître la supériorité de l’impérialisme occidental. En Occident aussi, les médecines douces alternatives connaissent un grand succès dans la population mais elles n’ont jamais eu le statut officiel, d’une médecine savante et académique, financée par la puissance publique.
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