Jīn Yōng (金庸 de son vrai nom Zhā Liángyōng, connu en Occident sous le nom de Louis Cha, est né le 10 mars 1924 à Haining et est décédé le 30 octobre 2018 à Hong Kong. Écrivain chinois de romans de cape et d’épée parmi les plus populaires, nombre de ses œuvres ont été adaptées en films et en séries télévisées.

En 1959, il cofonde le journal Ming Pao à Hong Kong, qu’il dirige comme rédacteur en chef jusqu’en 1993. Ses récits, inspirés de l’histoire chinoise qu’il retravaille librement, sont parfois perçus par ses lecteurs comme de véritables fresques historiques, à l’instar de l’influence d’Alexandre Dumas ou du roman des Trois Royaumes.

 

Biographie

Jin Yong, de son vrai nom Louis Cha, naît le 10 mars 1924 dans le district de Haining, province du Zhejiang, au sein d’une famille de lettrés – son père étant jinshi, lauréat des examens impériaux. Deuxième d’une fratrie de sept enfants, il commence ses études au premier lycée de Jiaxing, dont il est toutefois renvoyé pour avoir rédigé un texte satirique visant le directeur politique, représentant du Kuomintang. Il termine ensuite son cycle secondaire au lycée de Quzhou, puis poursuit ses études supérieures à la faculté des langues étrangères de l’Université Centrale de Chongqing. Rapidement, il change de voie et s’inscrit en droit international à l’université de Soochow à Suzhou, avec l’ambition de devenir diplomate.

En 1947, il débute sa carrière journalistique au Ta Kung Pao de Shanghai, avant d’être transféré l’année suivante à Hong Kong, où il s’installe définitivement. Affecté d’abord à la mise en page et à la correction, il devient ensuite rédacteur adjoint au Hsin Wan Pao. C’est là qu’il rencontre Chen Wentong, connu sous le pseudonyme de Liang Yusheng (梁羽生), pionnier du roman de cape et d’épée moderne. Sous son influence, Jin Yong se lance dans l’écriture. Son premier feuilleton, Le Livre et l’Épée, paraît en 1955. Deux ans plus tard, tout en continuant à écrire, il quitte provisoirement le journalisme pour devenir scénariste dans les studios Great Wall Movie Enterprises Ltd et Phoenix Film Company.

En 1959, il fonde avec son ancien camarade de lycée Shen Pao-sing (沈寶新) le quotidien Ming Pao, dont il sera rédacteur en chef pendant plus de trente ans. Il y publie ses romans en feuilleton ainsi que de nombreux éditoriaux. Sa production est intense : après avoir achevé son dernier roman en 1972, il se consacre à la révision et à l’édition de ses œuvres. Une première édition complète paraît en 1979 et rencontre un immense succès dans le monde sinophone, malgré les censures imposées tant à Taïwan qu’en Chine populaire, où ses récits sont tour à tour interprétés comme des critiques de Mao Zedong ou comme des éloges du communisme. Ses histoires inspireront par la suite films, séries télévisées et, à partir des années 1990, jeux vidéo.

À la fin des années 1970, Louis Cha est nommé au comité chargé de rédiger la Loi fondamentale de Hong Kong, mais il démissionne en 1989 pour protester contre le massacre de Tiananmen. Il rejoint néanmoins, en 1996, le Comité de supervision du retour de Hong Kong à la Chine.

En 1993, il cède ses parts du Ming Pao et prend sa retraite. Sa fortune est alors estimée à 600 millions de dollars HK. Marié trois fois et divorcé deux fois, il est père de quatre enfants : deux fils – dont l’aîné est décédé – et deux filles.

Distinctions

En 1981, Louis Cha est fait officier de l’ordre de l’Empire britannique. Il reçoit ensuite les distinctions de chevalier de la Légion d’honneur en 1992 et de commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres en 2004.

Il est professeur honoraire dans plusieurs universités prestigieuses, parmi lesquelles Pékin, Zhejiang, Nankai, Soochow, Huaqiao, Tsing Hua, Hong Kong (littérature chinoise), Colombie-Britannique et Sichuan. Il est également docteur honoris causa de l’université de Hong Kong (sciences sociales), de l’université polytechnique et de l’université ouverte de Hong Kong, de l’université de Colombie-Britannique, de l’université Sōka et de l’université de Cambridge.

Louis Cha est aussi membre honoraire du St Antony’s College d’Oxford, du Robinson College de Cambridge et Wynflete Fellow du Magdalen College d’Oxford. Soucieux d’obtenir un véritable doctorat, il s’inscrit en 2007 au St John’s College de Cambridge pour y préparer un doctorat en histoire chinoise.

 

Œuvre et romans 

Entre 1955 et 1972, l’auteur a publié quatorze romans ainsi qu’une nouvelle, L’Épée de la fille de Yue. Le succès fut considérable : plus de 30 millions d’exemplaires ont été officiellement écoulés, chiffre qui dépasserait les 100 millions en tenant compte des éditions piratées ou diffusées sous le manteau. Ses œuvres ont été traduites dans de nombreuses langues, dont le coréen, le japonais, l’anglais, le français, le vietnamien, l’indonésien, le birman et le thaï.

Œuvres principales

  • Le Livre et l’Épée (書劍恩仇錄 / 书剑恩仇录), publié en 1955 dans le Sin Wan Pao

  • L’Épée tachée de sang royal (碧血劍 / 碧血剑), paru en 1956 dans le Hong Kong Commercial Daily

  • La Légende du héros chasseur d’aigles (射鵰英雄傳 / 射雕英雄传), 1957, Hong Kong Commercial Daily

  • Le Renard de la montagne des neiges (雪山飛狐 / 雪山飞狐), premier épisode dans le Ming Pao en 1959

  • Le Justicier et l’Aigle mythique (神鵰俠侶 / 神雕侠侣), 1959

  • Autres aventures du renard (飛狐外傳 / 飞狐外传), 1960

  • Vers l’Ouest sur un cheval blanc (白馬嘯西風 / 白马啸西风), Ming Pao, 1961

  • La Danse de l’épée (鴛鴦刀 / 鸳鸯刀), Ming Pao, 1961

  • L’Épée céleste et le Sabre du dragon (倚天屠龍記 / 倚天屠龙记), Ming Pao, 1961

  • Le Secret fatal (連城訣 / 连城诀), Southeast Asia Weekly, 1963

  • Demi-dieux et semi-démons (天龍八部 / 天龙八部), 1963

  • La Ballade des paladins (俠客行 / 侠客行), 1965

  • Le Vagabond au sourire fier (笑傲江湖), Ming Pao, 1967

  • Le Cerf et le Tripode (鹿鼎記 / 鹿鼎记), 1969–1972

 

Nouvelle

  • L’Épée de la fille de Yue – T: 越女劍 S: 越女剑 (1970)

 

Analyse de l’œuvre

Trilogie et temporalité

La trilogie du « Héros chasseur d’aigles » est composée de La Légende du héros chasseur d’aigles, Le Justicier et l’aigle mythique et L’Épée céleste et le sabre du dragon. À cette saga est rattaché, dans une certaine mesure, Demi-dieux et semi-démons. Par ailleurs, certains personnages du Livre et l’épée réapparaissent dans Le Renard de la montagne des neiges et Nouvelles Aventures du renard.

L’Épée de la fille de Yue se déroule au VIᵉ siècle av. J.-C., à la transition entre les périodes des Printemps et Automnes et des Royaumes combattants. Quant à Demi-dieux et semi-démons et à la trilogie du Héros chasseur d’aigles, ils forment une vaste fresque historique centrée sur la dynastie Yuan : l’intrigue commence au XIᵉ siècle, sous les Song du Nord, et se poursuit de génération en génération jusqu’au XIVᵉ siècle, à la veille de l’avènement des Ming.

D’autres romans s’inscrivent à différentes époques :

  • Le Redresseur de torts au XVIᵉ siècle,

  • L’Épée tachée de sang royal et Le Cerf et le tripode au XVIIᵉ siècle,

  • Le Livre et l’épée ainsi que les deux Renards au XVIIIᵉ siècle,

  • Le Secret fatal au XIXᵉ siècle.

Le Vagabond au sourire fier ne précise pas son époque, l’auteur ayant voulu en faire une allégorie. Néanmoins, plusieurs indices situent l’action sous les Ming, tandis que les adaptations cinématographiques la replacent souvent sous le règne de l’empereur Wanli.

Enfin, Jin Yong a composé un poème mnémotechnique réunissant les premiers caractères de ses quatorze romans :

  • Chinois traditionnel : 飛雪連天射白鹿 笑書神俠倚碧鴛

On peut le traduire ainsi :
« La neige tombe sans fin, un cerf blanc est abattu ; [quelqu’un], adossé à un canard de jade bleu, sourit en écrivant les aventures des chevaliers extraordinaires. »

Éditions et réception

De nombreuses œuvres de Jin Yong furent longtemps censurées, aussi bien en Chine continentale qu’à Taïwan. Les autorités communistes comme nationalistes y voyaient chacune une critique voilée et un appui à l’adversaire politique. Durant cette période, les lecteurs n’avaient accès qu’à des éditions piratées, souvent modifiées.

Entre 1970 et 1980, l’auteur entreprit une révision complète de ses romans et publia une première version intégrale, appelée depuis l’ancienne édition. En 1979, la collection authentique fut éditée à Taïwan par Yuenching Publishing House (遠景出版社). En Chine populaire, la publication officielle commença en 1980, dans le magazine Wulin (武林) de Guangzhou. Deux éditions en caractères simplifiés suivirent :

  • 1994 : Sanlian Shudian (三联书店), Pékin,

  • 1995 : Minheshe Singapore-Malaysia (明河社星马分公司).

Une dernière révision eut lieu entre 1999 et 2006, donnant naissance à la nouvelle édition, enrichie d’annotations où Jin Yong répond aux critiques sur ses libertés prises avec l’histoire.

Les passionnés de son œuvre, souvent eux-mêmes amateurs de kung-fu, se sont rassemblés en clubs, puis sur des forums en ligne. Le premier « jinyongologue » fut son ami Ni Kuang, écrivain de science-fiction. Même Deng Xiaoping a reconnu son intérêt pour ces romans.

En 2004, les Éditions éducatives populaires (人民教育出版社) de Chine inclurent un extrait de Demi-dieux et semi-démons dans un manuel scolaire pour le secondaire, malgré les critiques dénonçant une littérature jugée « irréaliste et violente ». Une initiative similaire eut lieu à Singapour pour l’enseignement en chinois.

Parmi les admirateurs célèbres de Jin Yong figurent Deng Xiaoping, Jack Ma et Xi Jinping.

Thèmes

Le nationalisme occupe une place centrale dans l’œuvre de Jin Yong. Ses récits mettent fréquemment en scène la résistance contre des envahisseurs étrangers — Khitans, Jurchens-Mandchous ou Mongols. Cependant, l’auteur se distingue d’un chauvinisme exclusivement Han : il accorde une place importante à des personnages issus des minorités ethniques chinoises, souvent représentés de manière positive. Ainsi, dans La Légende du héros chasseur d’aigles, Genghis Khan et son fils apparaissent comme des figures nobles, supérieures aux fonctionnaires corrompus de la dynastie Song. De même, dans Le Cerf et le tripode, l’empereur mandchou Kangxi est présenté comme un héros chinois à part entière. Le protagoniste de Demi-dieux et semi-démons, quant à lui, incarne le déchirement identitaire entre ses origines khitanes et han.

Les romans de Jin Yong sont également traversés par de multiples références à la culture traditionnelle chinoise : la médecine et l’acupuncture, les arts martiaux (wushu), la musique, la calligraphie, le jeu de weiqi (go), l’art du thé, mais aussi les grands courants philosophiques et spirituels que sont le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme.

Héros

Contrairement aux romans traditionnels de kung-fu, où les protagonistes apparaissent d’emblée comme des maîtres accomplis, Jin Yong choisit de présenter ses héros dès leur adolescence et décrit minutieusement leur formation. Une autre originalité réside dans l’importance qu’il accorde aux héroïnes, certaines étant même des personnages principaux. Il introduit également des figures historiques réelles dans ses récits.

Ses héros incarnent les idéaux confucéens : fidélité au souverain, respect des liens familiaux, loyauté. Le concept de la face y est aussi déterminant. Toutefois, Jin Yong s’autorise quelques entorses, notamment pour explorer des histoires d’amour que la morale traditionnelle aurait réprouvées, comme celle de Yang Guo et Xiaolongnü dans Le Retour du héros chasseur d’aigles. À l’inverse, son dernier roman, Le Cerf et le tripode, rompt avec ces codes en mettant en scène un anti-héros : un enfant de bordel, paresseux, intéressé et indifférent aux convenances.

Parmi les groupes de personnages emblématiques figurent les cinq maîtres wujue (五絕), ou « Cinq excellences », issus de la saga du Héros chasseur d’aigles. Liés chacun à un des cinq orients, ils sont d’abord :

  • Huang Yaoshi, l’« Hérétique de l’Est » (東邪),

  • Ouyang Feng, le « Poison de l’Ouest » (西毒),

  • Duan Zhixing, l’« Empereur du Sud » (南帝),

  • Hong Qigong, le « Mendiant du Nord » (北丐),

  • Wang Chongyang, le « Devin du Centre » (中神通).

Plus tard, cette liste évolue :

  • Yang Guo, la « Folie de l’Ouest » (西狂),

  • Yideng, le « Moine du Sud » (南僧),

  • Guo Jing, le « Héros du Nord » (北俠),

  • Zhou Botong, le « Garnement du Centre » (中頑童).

Comme dans tout roman d’arts martiaux, les combattants appartiennent à des écoles. Dans l’univers de Jin Yong, Shaolin et Wudang occupent une place majeure. D’autres factions sont religieuses, tel le Culte de la lumière (Mingjiao), ou issues de son imagination, comme la célèbre Secte des mendiants (丐幫/丐帮).

Enfin, un personnage mystérieux traverse l’ensemble de l’œuvre : Dugu Qiu Bai (獨孤求敗). Bien qu’il soit évoqué dans Le Justicier et l’aigle mythique, Le Vagabond au sourire fier et Le Cerf et le tripode, il n’apparaît jamais directement.

Éditions françaises

Traductions françaises des œuvres de Jin Yong publiées chez Librairie You-Feng

  • La Légende du héros chasseur d’aigles

    • Tome 1, trad. Jiann-Yuh Wang (2004)

    • Tome 2, trad. Jiann-Yuh Wang (2005)

  • Le Justicier et l’Aigle mythique

    • Tome 1, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2013)

    • Tome 2, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2013)

    • Tome 3, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2014)

    • Tome 4, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2014)

  • Tian Long Ba Bu (Demi-dieux et semi-démons)

    • Tome 1, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2016)

    • Tome 2, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2017)

    • Tome 3, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2018)

    • Tome 4, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2018)

    • Tome 5, trad. Xie Weidong & Nicole Tagnon (2020)

  • La Ballade des Paladins

    • Tomes 1 & 2, trad. Philippe Denizet (2017)

Adaptations au cinéma

  • 1971 : La Rage du tigre de Chang Cheh
  • 1978 : Heaven Sword and Dragon Sabre de Chu Yuan
  • 1978 : Heaven Sword and Dragon Sabre 2 de Chu Yuan
  • 1980 : A Deadly Secret de Mou Tun-fei
  • 1993 : Le Poison et l’Épée de Poon Man-kit (zh)
  • 1994 : Les Cendres du temps de Wong Kar-wai
  • 2023 : Sakra, la légende des demi-dieux de Donnie Yen

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