Le taoïsme (道教) Seconde partie

Conceptions : Principaux traits

Avant le bouddhisme, et surtout à partir des Han, le taoïsme s’est défini par rapport à son rival, le confucianisme. Cependant, ces deux courants de pensée partagent l’héritage du fond culturel chinois, qui est beaucoup plus important que ce qui les sépare, et sont ainsi plus complémentaires qu’antagonistes. Les lettrés chinois les ont le plus souvent perçus comme deux moyens différents d’arriver au même but : la sagesse pour soi et la société. Chacun est efficace dans son domaine, et on peut très bien, comme le dit l’adage, être « confucianiste le jour et taoïste la nuit ».

Deux textes essentiels

Les références les plus sûres sont constituées par le « Canon taoïste », traditionnellement trois livres écrits vers le ive siècle av. J.-C. et compilés sous les Han : le Dao De Jing, le Zhuangzi et le Lie Zi. Selon une critique moderne, on peut écarter ici ce dernier, ou Vrai Classique du vide parfait, car cette compilation, qui serait plus tardive, apporterait peu aux deux autres.

  • Le Dao De Jing (ou Tao Te ChingLivre de la Voie et de sa Vertu) est un court recueil d’aphorismes obscurs et poétiques attribué au père fondateur et même divinisé du taoïsme : Laozi (Lao-tseu). Les taoïstes n’ont pas cessé de le lire, en l’interprétant très diversement selon les siècles. Pour plusieurs courants, il fut au centre de cérémonies, pas exactement comme livre sacré, mais plutôt comme texte de prière. D’autres cultures le découvrent, sa traduction est une gageure dans toutes les langues, y chercher un sens inspire beaucoup d’auteurs. La divergence des interprétations illustre la richesse fluide et féconde du tao ; un texte majeur de l’humanité.
  • Le Zhuangzi (Tchouang-tseu), du nom de son auteur, est un recueil de fables dialoguées, vivantes et d’enseignement profond. La forme en apparence plus directe, plaisante et pleine d’humour, traite au fond de thèmes philosophiques rigoureusement sentis. Des générations de mandarins y ont trouvé une consolation des soucis de leur charge dans la figure d’un saint sans ambition, dégagé des contraintes sociales. Des modernes y cherchent au cœur du caractère ou dans le rythme d’une histoire, une sagesse chinoise toujours actuelle.

Ces textes permettent de dégager quelques thèmes taoïstes, mais on préviendra que pour l’histoire des idées chinoises, ce sont des lieux aussi communs que raison ou culture pour la philosophie occidentale. Les contemporains de Laozi et Zhuangzi les employaient aussi, quoique interprétés différemment et sans la même importance. La compréhension que nous en avons désormais, dépend largement des siècles d’interprétation qui suivirent, notamment dans le néo-confucianisme de la dynastie Song (xe et xie siècles). Autrement dit, il faut commencer par là, mais éviter d’en déduire des catégories trop strictes entre ce qui serait taoïste, et ce qui ne le serait pas.

Suivre la Voie

Dao/Tao, la voie

La recherche de la sagesse en Chine se fonde principalement sur l’harmonie. L’harmonie, pour les taoïstes, se trouve en plaçant son cœur et son esprit (le caractère chinois du cœur désigne les deux entités) dans la Voie (le Tao), c’est-à-dire dans la même voie que la nature. En retournant à l’authenticité primordiale et naturelle, en imitant la passivité féconde de la nature qui produit spontanément les « dix mille êtres », l’homme peut se libérer des contraintes et son esprit peut « chevaucher les nuages ». Prônant une sorte de quiétisme naturaliste (Granet), le taoïsme est un idéal d’insouciance, de spontanéité, de liberté individuelle, de refus des rigueurs de la vie sociale et de communion extatique avec les forces cosmiques. Ce taoïsme des grandes chevauchées mystiques a servi de refuge aux lettrés marginaux, ou marginalisés par un bannissement aux marches de l’Empire, aux poètes oubliés, aux peintres reclus… et fascine aujourd’hui bien des Occidentaux.

Pour se libérer des contraintes sociales, le taoïste peut fuir la ville et se retirer dans les montagnes, ou vivre en paysan. Dans les Entretiens de Confucius, on trouve déjà cette opposition entre d’une part ceux qui assument la vie en société et cherchent à l’améliorer (les confucianistes) et, d’autre part, ceux qui considèrent qu’il est impossible et dangereux d’améliorer la société, qui n’est qu’un cadre artificiel empêchant le naturel de s’exprimer (les taoïstes), une dialectique peut-être analogue à la question de l’engagement de l’intellectuel. Zhuangzi a des images frappantes : un arbre tordu, dont le menuisier ne peut faire de planches, vivra de sa belle vie au bord du chemin, tandis qu’un arbre bien droit sera coupé en planches puis vendu par le bûcheron. L’inutilité est garante de sérénité, de longue vie. De même l’occupant d’une barque se fera insulter copieusement s’il vient gêner un gros bateau, mais, si la barque est vide, le gros bateau s’arrangera simplement pour l’éviter. Il convient donc d’être inutile, vide, sans qualités, transparent, de « vomir son intelligence », de n’avoir pas d’idées préconçues et le moins d’opinions possible. Ayant fait le vide en soi, le sage est entièrement disponible et se laisse emporter comme une feuille morte dans le courant de la vie, c’est-à-dire : librement « s’ébattre dans la Voie ».

Plénitude du vide et autres paradoxes

Taijitu montrant les relations entre le Yin et le Yang

La plénitude du vide pourrait passer pour un paradoxe purement formel, un pur jeu de mots. Le chapitre 11 du Dao De Jing fournit des analogies plus éclairantes : l

a roue tourne par le vide du moyeu, la jarre contient d’autant plus qu’elle est creuse, sans les trous des portes et fenêtres, à quoi sert une maison ? La page se conclut par une formule que l’on peut traduire : « du plein, le moyen ; du vide, l’effet ».

Cette interprétation volontairement abstraite trouve une application universelle, par exemple, la stratégie militaire. L’Art de la guerre de Sun Tzu a un chapitre « du plein et du vide » où il explique très concrètement comment un général doit disposer du lieu de bataille (le plein) comme un potentiel (les moyens), de passes ou d’entrées (des vides) où il attire l’adversaire de son plein gré pour le battre avec le moindre effort (l’effet). La fable du coq de combat de Zhuangzi  qui vaincra sans combat est une autre illustration de la vertu supposée du vide intérieur.

L’inutilité sociale, l’absence de qualités effectives qui est présence en puissance de toutes les qualités possibles, la vacuité d’un cœur libéré de tout souci mondain, sont les aspirations les plus courantes de la voie taoïste. On peut se retirer du monde pour s’en approcher, mais ce n’est ni nécessaire ni suffisant. Pour réaliser cette libération, pour « trouver la Voie », un des moyens possible est l’utilisation des paradoxes. Il y en a beaucoup dans le Dao De Jing : c’est sans sortir de chez soi qu’on connaît le monde, c’est en ne sachant pas qu’on sait, c’est quand on agit le moins que son action est la plus efficace, la faiblesse est plus forte que la force, la stupidité marque l’intelligence suprême, ou la civilisation est une décadence. Le but de ces paradoxes semble d’abord de briser la pensée conventionnelle, de rompre les chaînes logiques et casser le sens des mots, comme le cultivera plus tard le bouddhisme Chan. C’est aussi une arme polémique contre les doctrines qui s’instituent, par exemple le confucianisme. Mais il y a certainement aussi, comme pour le paradoxe du vide, une manière de pratiquer ces paradoxes qui apporte une efficacité, justifiant l’intérêt encore porté à ce texte. Son secret semble un mystère vivant, pas une mécanique vide.

Non-agir

Le Dao De Jing est aussi un manuel de politique magico-mystique. Si on « non-agit » (wúwéi 無爲) la nature et ses dix mille êtres croissent et se multiplient. Si on ne cherche pas à gouverner les hommes, ils s’auto-organisent spontanément de la meilleure façon possible. Cette idée qui peut sembler libertaire doit être remise en contexte. D’un côté, elle se fonde sur l’antique croyance chamanique d’une action efficace du Prince par le jeu des correspondances entre les microcosmes et le macrocosme. Ainsi le simple fait pour celui qui dispose du Mandat du Ciel de décrire dans sa maison la suite des saisons en déménageant régulièrement d’une salle à l’autre, assure que la pluie viendra à son heure féconder les champs, que l’hiver durera le temps voulu, etc. L’inaction apparente n’empêche pas l’action effective. Si la circulation saisonnière dans sa maison assure la bonne marche de l’empire, c’est parce qu’il y a « résonance » et effet d’entraînement — ou d’engrenage — entre la maison du Prince et son empire. C’est-à-dire que la maison du Prince est conçue comme une représentation homothétique du monde. D’ailleurs, les éclipses, famines ou inondations sont interprétées aussitôt comme un dérèglement des mœurs dans la maison du Prince. D’autre part, cette idée d’une inaction efficace a pu être prônée par des penseurs plus rationnels, quand ils souhaitaient contenir les caprices des princes et limiter leurs dégâts sur le peuple.

L’activité de certains artisans est minutieusement décrite par Zhuang Zi. Il montre un boucher ou un charron qui ont acquis la plus grande maîtrise de leur art après des années d’apprentissage, mais surtout, ils peuvent oublier les règles et la matière qu’ils travaillent, conduits par le Tao. Ils laissent les gestes et leur corps opérer seul, sans intention consciente de la volonté. L’art le plus humble permet à tous d’atteindre un absolu. Le confucianisme préférait restaurer les hiérarchies :

« Même subalternes, tous les arts et les places sont respectables. Mais à trop vouloir y chercher, on s’y enferme. L’honnête homme n’aura pas de métier. » Entretiens de Confucius 19:4

La civilisation comme maladie

Alors que la plupart des personnages de la mythologie chinoise sont des héros civilisateurs, qui ont donné aux hommes les inventions (agriculture, irrigation, médecine ou l’écriture), le taoïsme s’affirme contre la technique. Pour l’illustrer, une parabole de Zhuang Zi met en scène un paysan taoïste qui, bien que connaissant l’usage du chadouf (qui lui économiserait beaucoup de temps et d’énergie pour arroser ses champs), aurait « honte de s’en servir » parce que cette technique artificielle va à l’encontre de la nature. Allant dans le même sens, le paragraphe 80 du Dao De Jing propose un « retour aux cordes nouées » (ancêtres des systèmes d’écriture). Ce même texte va plus loin : des villageois ne rencontrent pas de toute leur vie les villageois du hameau qui est à portée de vue. Si l’on suit cet enseignement, la société proposée par Lao Zi comme idéal de simplicité est une constellation de villages autonomes sans liens entre eux et des humains sans curiosité ni pour les outils permettant de leur faciliter la vie, ni même pour le monde extérieur. On ne sait pas ce qui dans l’intention tient du paradoxe à la provocation calculée, d’un choix individuel, ou réellement d’un projet politique.

Ainsi le paragraphe 3 dans les traductions européennes invite à lire « Vider les têtes, remplir les ventres » comme un conseil au prince selon l’idéologie réactionnaire la plus pure, puisque le retour au passé invoqué est celui d’un mythe. L’ignorance du peuple assurerait un pouvoir invisible et actif sans rien faire. Mais traduire du chinois poétique aussi ancien tient souvent de l’interprétation, influencée par l’héritage d’une tradition, ici, confucéenne. La phrase complète a aussi été lue dans les milieux taoïstes comme une technique mystique : « le saint agit en vidant son cœur, nourrissant le nombril ; il abandonne le vouloir, pour affermir ses os ». Cœur et tête sont un même caractère, la respiration abdominale est censée nourrir le nombril, pratique clairement admise ensuite comme contribuant à la longévité : la persistance des os. Ce petit exemple indique les limites d’une interprétation close des textes taoïstes, et qu’il faut en accepter la polysémie, d’abord dans les langues européennes, mais aussi pour le chinois.

Interprétations

Les œuvres du Zhuangzi et du Laozi peuvent être lues comme des énigmes. Le sens n’a pas été épuisé en de nombreux siècles de tradition chinoise.

La lecture du Dao De Jing a été continue, avec une longue histoire de commentaires, mais aussi de pratiques différentes du texte. Comme les classiques confucéens, il a été parfois au programme des concours mandarinaux, chargé d’un commentaire scolastique reflétant les préoccupations politiques de chaque époque. Il s’y ajoute le destin des œuvres reconnues mais à la marge, d’être servies par des génies individuels, un peu comme le Yi Jing. Enfin, il y a un usage très singulier pour l’histoire des religions de livres, le texte est sacré, mais pas d’auteur divin. Certains lui accordent les pouvoirs d’une magie, sans pour autant le cacher dans un ésotérisme puisqu’il est aussi lu publiquement. Ce prestige a en tous cas inspiré tout le taoïsme postérieur.

Pratiques : la quête d’immortalité

Le temple de Longshan à Taipei, Taiwan

La quête d’immortalité est un principe organisateur des multiples pratiques du taoïsme. Plusieurs millénaires, un continent, des clergés diversement organisés et parfois en conflit ; même appuyée sur des spécialistes (Maspero, Robinet), cette simplification demande justification.

L’archéologie et les textes confirment les dépenses ruineuses du deuil, le culte des ancêtres, et la croyance aux esprits. Le panthéon des Chinois a beaucoup varié, mais presque tous crurent que les morts continuaient une existence, que les vivants leur devaient des offrandes, pour espérer une vie meilleure. Confucius enseigna la sagesse de ne pas craindre les fantômes, de respecter les rites dans l’intention, sans pour autant y sacrifier sa fortune. « Le deuil doit porter jusqu’à l’affliction mais pas plus », « Le Maître ne parlait jamais de l’étrange ni des esprits ». Le bouddhisme apporta la Saṃsāra (le cycle des renaissances) dont le nirvāna libère. Les premières traductions des textes bouddhistes sont justement révélatrices, car faute d’un vocabulaire adapté, elles empruntent des termes taoïstes. La réincarnation est ignorée, mais le message du Bouddha est retenu, car il sauve de toute mort, donc d’abord de la première. Le nirvana est interprété comme l’immortalité, le bouddhisme est assimilé à un ensemble de recettes taoïstes : prescriptions alimentaires et morales, concentration et méditation. La force du clergé bouddhiste, l’unité de son message, l’afflux continu de missionnaires indiens aux sources de la doctrine a inversé le rapport d’assimilation ; le syncrétisme chinois a fini par fondre ce qu’il y aurait de spécifique au taoïsme. Afin cependant d’illustrer des pratiques religieuses spécifiquement taoïstes, on s’accordera avec les spécialistes à se concentrer sur la période des six dynasties (200-400) entre les Han et les Tang, très prolifique en techniques de longévité.

Bien antérieur (ive siècle av. J.-C.), le Dao De Jing et le Zhuang Zi partagent aussi cette quête, mais en lui donnant un cadre métaphysique. Ces textes résultent d’une démarche expérimentale, non pas mesurable, ou observable, mais bien d’une expérience totale de l’individu : la mystique. À la manière des yoga sutra mais avec d’autres conclusions, ces maîtres ont confronté leurs sens à leur langue, découvrant sans influence des universaux spirituels, et la particularité des intuitions de leur culture. Ainsi les spéculations sur le Qi supposent techniquement un monisme vitaliste ou naturaliste qui ne distingue pas l’esprit de la matière. En conséquence l’individu n’est pas connu comme un dualisme d’une seule âme et d’un seul corps, mais de nombreux principes uniquement maintenus ensemble par la vie, que la mort sépare. Dès lors l’immortalité personnelle ne se fera pas sans le corps, qui en retient l’expérience et la mémoire, il entre dans la grande préoccupation taoïste : nourrir le principe vital.

L’objectif est clarifié, mais on est ensuite frappé par l’immense variété des prescriptions. Le confucianisme rappelait à l’esprit des anciens et se contenait au classique des rites. L’organisation des pratiques bouddhistes résista tant bien que mal à l’inventivité chinoise. Le taoïsme manifeste un génie religieux pléthorique si bien que la première tâche de l’adepte est de voyager à travers la Chine, pour trouver le maître qui convient à sa voie et à son avancement, en se gardant des imposteurs ou de pratiques trop dangereuses pour son grade. La critique moderne permet tout de même de classer des spécificités.

  • Nourrir le corps : diététique, alchimie, respiration, gymnastiques, sexualité, médecine
  • Nourrir l’esprit : morale, panthéon, exorcisme, divination, cérémonies

Nourrir le corps : la transmutation

L’embryon immortel — méditation taoïste

La vie se nourrit avec du mort, l’adepte le constate aussi, et se demande surtout : comment devenir immortel en mangeant des choses qui vont mourir ? Des pratiques corporelles parfois nuisibles à la santé se déduisent de cette logique, transformer la chair en vie imputrescible. Par l’ascèse, l’adepte cherche à réveiller l’embryon qui résiderait dans son nombril. À cette force de croissance et de génération, il prête la vertu du serpent, de pouvoir muer. La dépouille actuelle est transitoire, une autre plus durable peut lui succéder, du moins si l’on se nourrit suffisamment bien : le principe vital.

Pour accroître ou seulement conserver sa vitalité, [l’adepte] doit adopter un régime conforme au rythme de la vie universelle. Toutes ces techniques procèdent, en effet, d’une systématisation des règles saisonnières de la vie rustique dont la grande loi était de faire alterner les débauches d’activité joyeuse et les temps de famine, de restriction, de contrainte. De là provient en particulier l’idée que le jeûne vaut uniquement à titre de préparation à la frairie. Les privations, loin d’être inspirées par le désir de macérer le corps, tendent uniquement à le purger de tout ce qui peut être poison, maléfice, germe de mort. Il s’agit non de se mortifier, mais de se vivifier.

Interdictions

  1. nourriture grossière
  2. nourriture maigre
  3. nourriture sobre
  4. absorption de l’Essence
  5. absorption de l’ivoire
  6. absorption de la Lumière
  7. absorption du souffle
  8. absorption du Souffle Originel
  9. Nourriture Embryonnaire

Maspero, op. cit., note 260, citation originale du Xuanmen dalun. Cette énumération résume les étapes de progression dans le régime taoïste idéal, jusqu’à la lumière, l’air, et l’auto-suffisance.

Le régime alimentaire prescrit pour devenir bon taoïste est très sévère, il résulte d’un raisonnement. Pour devenir immortel, il faut se nourrir d’immortel. Outre des jeûnes rituels, les taoïstes voudraient se passer de tout aliment mortel. On peut faire un parallèle avec les paroles suivantes des Évangiles : « Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle », sans pour autant se satisfaire d’une métaphore comme les nourritures spirituelles. Les taoïstes espèrent spiritualiser la nourriture elle-même.

Ils commencent par écarter les mets fermentés, comme le fromage, qui rappelle trop la pourriture, puis la viande. L’adepte passe ensuite l’épreuve de se passer des céréales (la base alimentaire humaine) censées nourrir les trois vers, des démons qui mangent le corps au-dedans et le font vieillir. Les textes ne cachent pas la difficulté et les maux passagers que l’on traverse.

Un tel régime aurait dû décimer les adeptes, où trouvaient-ils alors leurs calories ? On rapporte de nombreuses décoctions et drogues devant pallier les carences les plus évidentes, et il y avait l’alcool. Le vin et l’ivresse est un thème classique de la poésie taoïste (Li Bai, 701~762), on peut par exemple supposer qu’il était la base alimentaire de Xi Kang (223~262) vers la fin de sa vie. Cela rejoint cette figure populaire de l’immortel joyeux et ivre, à perpétuité. Toutefois, le vin était cher, c’est un idéal inaccessible à la majorité. De plus, il est combattu par le Bouddhisme, ce qui a influencé les pratiques taoïstes ultérieures. En pratique, aujourd’hui, nombre de taoïstes se contentent de respecter la modération dans leur alimentation comme dans tout autre aspect de leur vie.

Selon Marcel Granet, la diététique taoïste ne prescrit ni le jeûne constant, ni même la sobriété. Elle défend de se nourrir de céréales, à la façon du vulgaire, mais invite à déguster le suc des choses. Elle conseille de boire la rosée féconde. Elle n’interdit nullement les boissons alcoolisées. Elle les considère comme des extraits de vie. Pas plus qu’un nouveau né, un adulte ne se blessera en tombant (même du haut d’un char et même sur sol dur) si la chute a lieu quand il est ivre : c’est que, grâce à l’ivresse, sa puissance de vie (chen) est intacte (ts’iuan). L’ivresse fait approcher de la sainteté, car, comme la danse, elle prépare à l’extase.

Végétarisme

Selon le Canon taoïste orthodoxe (0179) :

« Voici le troisième précepte : ne point tuer un animal pour se nourrir ; au lieu de cela, nous devons être bienveillants et bénéfiques envers tous, y compris les insectes et les vers. »

Alchimie

Cette introduction par l’alimentation donne un contexte à des anecdotes d’alchimistes empoisonnant des empereurs avec leurs recettes. Pour devenir immortel, il faut non seulement se garder du mort, mais aussi se transformer de l’intérieur pour devenir imputrescible. Des adeptes tentèrent d’ingérer du plomb ou de l’or liquide pour s’accorder à une représentation symbolique du corps en correspondance avec les métaux. Le cinabre eut encore plus de faveur. Ce minerai de mercure passe par plusieurs couleurs à la fusion, illustrant la transmutation. Il a été l’objet d’une quête ruineuse, qui explique que l’alchimie externe a ensuite servi d’analogie à une forme réfléchie, l’alchimie interne, pratiquée dans la respiration.

Respiration

Le taoïsme a affiné les techniques respiratoires à un degré que l’on ne rencontre que dans le yoga. L’historien occidental peut y chercher des influences, les textes yogis sont antérieurs. Selon Jean Filliozat : les idées taoïstes sur la circulation du souffle dans l’organisme et la possibilité d’en régler le cours par une technique respiratoire et physiologique pourraient fort bien être venues de l’Inde en Chine dès les siècles immédiatement antérieurs à l’ère chrétienne […]. L’emploi de mots indiens dans le vocabulaire technique du Taoïsme apporte parfois la preuve décisive d’une influence indienne.

Les taoïstes ont découvert l’originalité de leurs techniques en les comparant à celles importées par les bouddhistes. Le Yoga dans la tradition hindoue préconise une respiration profonde et continue, afin de détacher la Conscience des flux psychiques (Citta Vritti) illusoires, pour que l’atmân rejoigne le brahman. Les Chinois ont une métaphysique et une technique différente. Ils cherchent à retenir le souffle le plus longtemps possible. Cette apnée a des effets psychotropes différents, accompagnés de représentations. L’air, le qi, est considéré comme la substance de tous les corps. L’adepte, en respirant, régénère sa matière, avec un accompagnement mental de la sensation d’air dans une anatomie sentie, la circulation du souffle. Un occidental peut se faire une idée de ces exercices avec la sophrologie, expérimenter l’effet à long terme demande un engagement plus important.

Qu’est-ce que l’adepte espérait de cette pratique continue ?

« Confucius disait :

Autrefois je passais les jours sans manger et des nuits sans dormir, me consacrant à la méditation. J’aurais plus appris en étudiant. » Entretiens 15:30. Le taoïste n’y cherche pas une connaissance mais la transmutation de son corps par l’air, que le qi alimente l’embryon. Cet embryon, appelé « embryon de l’immortalité », naît à la fusion des souffles.

Ces derniers sont définis dans un texte ancien datant de l’époque Han, le Huangting Jing : « Laozi, au repos, fit ces vers de sept pieds afin d’expliquer le corps humain et toutes ses divinités : en haut, c’est la Cour jaune (la rate) ; en bas, la Passe de l’origine (l’extrémité de la colonne vertébrale ?) ; derrière, on trouve le Portique obscur (les reins) ; devant, la Porte du destin (le nombril ?). Respirez à travers la Hutte (le thorax) jusqu’au Champ de cinabre ; que l’eau claire du Lac de jade (la bouche) vienne irriguer la racine merveilleuse. » Le but est de réaliser la respiration de l’embryon afin que celui-ci, après une longue gestation, puisse grandir jusqu’au moment où il pourra se dissocier du corps mortel et rejoindre ainsi les régions paradisiaques. C’est donc de cette manière que le taoïste effectuera sa transmutation.

Gymnastiques

Sous le nom Daoyin, Maspero tire des textes des exercices de gymnastique très précis. Ces mouvements s’accompagnent toujours d’instructions sur la respiration. Ils visent à assouplir le corps pour aider la pensée à faire circuler les énergies, qu’elles soient alimentaires, respiratoires, ou sexuelles. Ces pratiques se distinguent définitivement du yoga, car ce ne sont pas des postures, mais bien des mouvements. Le taoïsme apporte le mouvement à l’ascèse, et l’ascèse au mouvement. Cette inspiration se poursuit dans le Qi gong « travail du souffle », ou les arts martiaux chinois — wushu, en particulier le Taiji Quan.

Selon Marcel Granet : C’est le matin seulement que la gymnastique respiratoire est profitable. Les exercices d’assouplissement n’ont d’heureux effets qu’au printemps. Les jeunes pousses, alors, sont encore toute souplesse. Le printemps est la saison des danses rustiques qui suscitent la montée de la sève et aident au renouveau : on y mime les souples inflexions des tiges naissantes sous le souffle fécond du Ciel. De pareilles danses et des ébats gymniques peuvent seuls conserver la souplesse première. Quand celle-ci disparaît, la mort triomphe chez les humains qui s’ankylosent, comme chez les plantes qui se lignifient. Ce qui est dur et résistant s’use et périt. Seul demeure invulnérable et vivant ce qui sait ployer.

Sexualité

À l’opposé des pratiques religieuses récentes monacales, un taoïste peut être marié, la piété filiale et le culte chinois de la descendance est respecté. La sexualité n’est pas réprimée, mais sacralisée, notamment par les complémentarités yin-yang nourrissant symboliquement le principe vital. Rappelons la particularité de la technique respiratoire chinoise : l’apnée, la rétention. Ce mode est appliqué à l’acte, les traités s’étendent sur des recettes pour conserver l’essence tout en la stimulant (coitus interruptus, masturbation). Cependant, la modération est conseillée en toute chose. De son côté le tantrisme (à ne pas confondre avec le taoïsme) idéalise plutôt l’orgasme comme une voie du nirvana.

Ces enseignements s’appliquent aux hommes et aux femmes sans discrimination d’âge. Peu connue, même en Chine, la sexualité taoïste s’intéresse à la transformation du corps physique, la régénérescence, par des pratiques considérées comme une branche à part du Taoïsme. « Cueillir des pâquerettes en dehors du Tao », sous entendu pratiquer la sexualité Taoïste, participe à l’idéal d’immortalité mais peut aussi être une façon d’améliorer la vie quotidienne pour prolonger le passage dans le monde vivant.

Le thème de l’ascèse sexuelle a suscité de nombreuses publications, avant même la Dynastie Han : On y enseignait diverses méthodes, toutes destinées à accroître la longévité et fondées, non sur un idéal de chasteté, mais sur un idéal de puissance. Au reste, le folklore nous renseigne sur une sorte d’épreuve sexuelle imposée au Saint. Entouré de nombreuses vierges ou se couchant sur l’une d’elles, il ne devait point « changer de couleur ».

Mis à part les pratiques les plus répandues, il existe aussi la voie de la Tigresse Blanche, différente de ce que Mantak Chia propose dans ses livres et qui s’adresse aux femmes. Elle peut être considérée comme immorale, dans une certaine mesure, dans le sens où la femme, la « tigresse blanche », pousse l’homme à l’éjaculation afin de pouvoir prendre son énergie sexuelle (bien qu’apparemment, l’homme pourrait bénéficier de certains aspects). La femme pratique avec plusieurs « dragons verts » — c’est le nom donné à son compagnon momentané, elle en a plusieurs, chacun pendant une période définie ou un certain nombre de rapports — tout en veillant à se référer à certains critères, c’est-à-dire que la personne soit en bonne santé, ait une énergie saine, ne boive pas… À noter qu’il y a aussi des pratiques pour le « dragon de jade », c’est-à-dire l’équivalent masculin de la tigresse blanche. Hsi Lai a écrit un livre concernant la tigresse blanche, un autre concernant le dragon de jade et un autre (celui-ci en anglais) qui traîte apparemment des deux mais d’une manière succincte (voir à la fin de la page pour les références).

Médecine

« La médecine chinoise a toujours été sous l’influence du Taoïsme, et les premiers médecins qui n’étaient pas de simples sorciers ont pu être taoïstes. »

— Henri Maspero, Taoïsme, note 140.

L’attitude scientifique à l’égard de la médecine est révélatrice d’une rupture avec le taoïsme antique, de l’influence de l’idéal confucéen à partir des Han, et du rendez-vous manqué avec une méthode plus expérimentale. Zhuang Zi  raconte la fable diversement interprétée d’un boucher trouvant le Dao du monde en découpant des carcasses. il n’y a pas encore d’intention scientifique, mais au moins, l’obstacle épistémologique du mépris pour les métiers du sang est levé. Seulement par la suite, à « la différence des Grecs et des Hindous, les Chinois n’ont jamais pratiqué la dissection comme procédé courant d’étude. On cite deux séries de dissections, à mille ans de distance, l’une dans les premières années du ier siècle de notre ère, l’autre au milieu du xiie siècle. » Les premières observations ont aidé à construire une image du corps servant de support à une anatomie symbolique, à l’aide de correspondances entre les organes et les éléments. Les observations suivantes ont été réfutées lorsqu’elles ne confirmaient pas les théories, en arguant que le corps d’un condamné à mort n’était pas de même nature que celui d’un sage taoïste ayant médité toute sa vie.

D’après les chroniques, la vie d’un bon taoïste dure au moins 90 ans (nombre symbolique), âge auquel l’embryon doit se réveiller pour survivre à l’enterrement. Dans sa tombe, il ne laissera que sa ceinture et son bonnet, ou un bâton, poursuivant son immortalité heureuse dans un coin de pays où il n’effraiera pas la société. Un aspirant le cherchera pour lui demander son secret ; ainsi se perpétue la croyance. Il est difficile d’en mesurer l’adhésion, elle inspire encore des fictions.

Nourrir l’esprit

Morale

Du taoïsme, on connaît d’abord l’individualisme libertaire de Zhuangzi, on lit plus rarement un pragmatisme dans la mystique du Dao De Jing, enfin le plus souvent, la morale développée dans les courants collectifs est ignorée. C’est cet aspect qui est développé ici, car il s’exprime à la même époque que les idéaux de longévité, même s’il contredit en partie le taoïsme antique.

« Ceux qui n’accomplissent pas d’actes de vertu et se contentent de pratiquer les procédés magiques n’obtiendront jamais la Vie Éternelle. »

— Ge Hong, Baopuzi, j. 3, 8 b.

« Le premier du mois, le matin, il allait se promener au marché, le long des rues, sur les places ; et quand il voyait des pauvres ou des affamés, il enlevait ses habits et les leur donnait… Une année qu’il y eut grande sécheresse et famine, et que le boisseau de riz atteignit le prix de mille pièces de monnaie, en sorte que les routes étaient couvertes d’affamés, il épuisa sa fortune et ruina sa famille pour venir en aide à leur détresse ; et il le fit en cachette, de sorte que les gens ne savaient pas que c’était de lui que venaient ces dons généreux. »

— Daozang, « le canon taoïste », fasc. 152.

La source du dernier extrait est une biographie canonique d’un saint taoïste, censé avoir vécu une vie idéale. Avant de découvrir la voie, l’adepte pratique une charité assez familière au christianisme. Elle prescrit des commandements de bon sens comme « tu ne tueras pas, tu ne voleras point ». La réflexion éthique distingue la charité discrète de la démonstration de vertu, elle n’explore pas en profondeur les mobiles de l’intention. La faute ne se transmet pas de pères en fils, ou par les renaissances ; le pardon et le rachat sont possibles. L’évaluation très précise des fautes et des bonnes actions répond au code des délits et des peines, révélateur des représentations et de l’ordre social. On peut se racheter en réparant cent pas de route, ou en fournissant le riz et la viande utiles à des auberges publiques gratuites.

Cette échelle précise des valeurs permet une comptabilité précise. Il n’y a pas l’équivalent d’une extrême-onction qui remet les péchés du mourant pour qu’il accède à la vie éternelle. Pour un taoïste, une mauvaise action, ce sont des jours de vie en moins, et quand la mort vient, il est trop tard. Les textes ajoutent une progression logarithmique. Lorsqu’à un seuil de sa vie morale l’adepte doit 30 bonnes actions pour monter en grade, un seul échec demande à tout recommencer. « Il faut, dit un alchimiste du ive siècle, avoir accompli 1 200 bonnes actions pour pouvoir devenir immortel ; et toute mauvaise action interrompt la série et oblige à recommencer du début, fût on arrivé à 1 199 ».

Panthéon

Le taoïsme est une quête individuelle de la Panacée, la recette qui rendra immortel. La séparation entre les vivants et les dieux n’est pas ferme, le panthéon est en croissance continue. Il y eut des intentions d’organiser ces légions en hiérarchies, qui empruntent les divisions administratives des fonctionnaires impériaux. Le taoïsme n’a pas exactement développé une mythologie, dans le sens d’une généalogie de personnes divines dont s’extraient des vertus (Hésiode ou l’ennéade égyptienne). L’abstraction ayant déjà été opérée dans la théorie des cinq éléments (Chine), le problème théologique est plutôt de ramener la variété des figures à ces principes.

L’adepte a aussi un temple tout personnel, son corps, dont les organes correspondent avec les éléments (et les immortels qui en dépendent). Selon son degré, la méditation communique avec des petits fonctionnaires digestifs, pour obtenir un ingrédient d’une recette, mais par l’abstraction, s’élève au Dao qui seul conduit le monde et mène le corps à l’éternité.

Exorcisme

Dans la société populaire, le prêtre taoïste représente le pivot entre les hommes, les dieux (shén ) et les immortels (xiān ), mais aussi avec les démons (guǐ ). Pour ce dernier cas, les prêtres appartiennent le plus souvent au courant Zheng Yi (Unité Orthodoxe), constitué en partie sur les bases de l’ordre des Maîtres Célestes. En tant que tel, ces derniers sont mandés pour effectuer des rituels d’exorcisme qui visent à expulser le démon du corps de la victime. Les Maîtres Célestes sont censés enfermer les démons expulsés dans des jarres gardées dans les enceintes des temples. Il faut remarquer que les prêtres d’autres courants, notamment monastiques et « quiétistes » se mêlent peu de ces pratiques très spécifiques. Les démons (guǐ ) sont considérés comme Yin, comme la mort, par rapport aux vivants qui sont Yang. Cette opposition est ressentie par les autres taoïstes comme dangereuse, notamment pour leur pratique alchimique pour laquelle la transformation intérieure visant à s’unir au Dao (Tao) repose sur l’affinage de l’énergie Yang du corps. Les textes alchimiques taoïstes parlent des difficultés (nán) de cette transformation durant laquelle l’adepte peut être la proie des démons (mó ). Il en résulterait la diminution du Yang de l’adepte jusqu’à le mettre en danger. L’enseignement vise notamment à éviter ces désagréments pour les adeptes, et si l’on peut parler d’une forme d’exorcisme, la pratique correcte est censée pouvoir aider à se libérer de l’emprise du démon. Pour comprendre l’exorcisme, il faut se pencher sur les différents niveaux d’existence du monde taoïste. Énergétique, ce monde est composé d’êtres de nature Yang ou de nature Yin. Les êtres dont la nature est la plus Yang sont les divinités (shén ), puis juste en dessous les immortels qui sont des hommes et des femmes ayant transcendé leur existence terrestre, notamment grâce à leur vertu (bonnes actions, pratique). Dans la catégorie Yin, il y a principalement les fantômes et les démons. Selon les théories taoïstes, le développement spirituel peut se résumer à s’éloigner du Yin pour aller vers le Yang, énergie la plus fine et seule capable de permettre l’union au Dao (Tao).

Divination

Le Yì Jīng (classique des mutations) n’est pas spécifique aux taoïstes, mais il a traversé les six dynasties (iiie et ive siècles) grâce à eux. Ils poursuivirent les spéculations ésotériques des Han, en ajoutant leurs commentaires (Wang Bi, 226~249), que le néo-confucianisme reprit. Les trigrammes sont un support de méditation, servant aussi à la composition de talismans et aux rituels.

Cérémonies

Sociologiquement, le taoïsme a d’abord concerné les élites, voire l’empereur. Les pratiques individuelles se sont ritualisées en cérémonies collectives après la dynastie Han, avec l’apparition des mouvements populaires de type maîtres célestes. Interpréter des textes provenant souvent de condamnations extérieures, comme des bouddhistes, est un exercice incertain. On distinguera cependant les rites d’investiture qui officialisent la conversion et la progression de l’adepte dans la Voie, se référant aux coutumes féodales de la dynastie Zhou. On trouve aussi des lectures collectives du Dao De Jing, des confessions et des repentances publiques. Le calendrier est rythmé par des fêtes solaires, notamment les équinoxes, précédés de jeûnes, aboutissant à des paroxysmes. Il y a beaucoup de littérature sur ces festins orgiaques, cherchant à rendre symbolique des échanges ritualisés entre partenaires sexuels. Dans certaines régions, les églises taoïstes tenaient l’état-civil, et célébraient les naissances, les mariages et les décès. Contrairement aux religions universelles de salut, les rituels taoïstes ne sont pas fixés en une recette stricte et exportable.

Des pratiques, des taoïsmes

Si la quête d’immortalité transcende la variété des pratiques taoïstes, il n’y a cependant pas d’unité des religions taoïstes, même pour la période circonscrite dans cette section. La respiration et les régimes par exemple, sont décelables dans plusieurs couches sociales, mais avec un sens différent.

L’« étude du mystère » xuanxue (250~350) engage des aristocrates sans espoir de carrière dans la « causerie pure », où ils renouvellent la spéculation théorique et le commentaire (Zhuangzi et Laozi). Ils mènent une vie épicurienne entre amis (les sept sages du bosquet de bambous), cultivant aussi bien les souffles que le vin. À cette époque, le taoïsme influence la calligraphie, la peinture et la musique.

Les expressions de masses de type maîtres célestes les utilisent comme voies initiatique de progression vers les grades d’une Église organisée, avec rituels et panthéon.

L’alchimie, qui fut importante à la cour des Han, se perpétue à travers de nombreux petits groupes ou alchimistes indépendants sans constituer de grand courant. L’un des plus célèbres alchimistes de la dynastie Jin est Ge Hong (283~343). Certains écrits de la famille Ge (Ge Hong, Ge Xuan, Ge Chaofu) se retrouvent dans le Lingbao pai, un mouvement organisé, qui se fondra ensuite dans les maîtres célestes Zhang. Lu Xiujing, réformateur des maîtres célestes du Sud, compile le premier « canon taoïste » Daozang, qui comprend beaucoup de textes alchimiques utilisés par Lingbao. L’alchimie, sous sa forme interne, continuera d’ être pratiquée dans les monastères taoïstes postérieurs.

Taoïsme et Occident

Comme pour d’autres traditions spirituelles, des conceptions rattachables au taoïsme ont pénétré la culture occidentale, en suivant le chemin de l’histoire européenne. Ces moments définissent des attitudes qui n’ont pas forcément disparu. Dans le monde francophone actuel, le taoïsme reste encore majoritairement affaire de spécialistes et de curieux.

Antiquité et Moyen Âge : les marchands

On trouve des traces archéologiques de contacts commerciaux entre la Chine et l’empire romain. La route de la soie amena des chrétiens nestoriens jusqu’à Xi’an sous la dynastie Tang (635). Ils disparurent dans une réaction taoïste dirigée contre les religions étrangères (845). Ils ne laissèrent pas de traces dans les textes, alors que déjà Plutarque mentionne des gymnosophistes, ces sages de l’Inde qui vivaient nus (les yogis) ; Plotin prétendait avoir reçu leur enseignement. L’Indus a arrêté Alexandre le Grand, dessinant l’espace mental européen pour plusieurs siècles.

La Relation de la Chine et de l’Inde consigne vers 851 le témoignage de plusieurs voyageurs arabes qui visitèrent la Chine. Les mentions sur la religion sont tellement brèves que l’on peut les rapporter toutes. §23 « Leur religion ressemble à celle des mages » . Dans une traduction de 1948, Jean Sauvaget propose deux hypothèses : les chinois sont étranges comme des zoroastriens, ou bien, le Yin-Yang ressemble au dualisme mazdéen ; sans qu’aucun autre indice puisse assurer qu’il s’agisse du taoïsme. On lit aussi §72 « Les Chinois prétendent que ce sont les Hindous qui leur ont apporté leurs Bouddhas », §64 « ils ont des livres sacrés », peut-être les classiques confucéens. Le lecteur moderne peut reconnaître les trois enseignements ; ces marchands s’expliquent plus sur les lois, l’administration ou la beauté des corps. On notera l’étonnement de ces arabes devant les coutumes funéraires ruineuses §35, et ceci qui résume la perspective, §63 « Ni les Hindous ni les Chinois ne pratiquent la circoncision ». Ces opinions ont été reprises et compilées à de nombreuses reprises dans la littérature musulmane, mais en y ajoutant très peu d’autres informations de première main, d’où la valeur de ce témoignage. Il n’a pas fait carrière dans la scolastique médiévale européenne.

C’est pourquoi le livre des merveilles de Marco Polo (1298) parut aussi neuf, avec plus de fantastique que la Relation, mais avec aussi peu sur les croyances et conceptions. L’ignorance de la langue et les nécessités du commerce n’ont pas permis d’en apprendre plus.

Les missionnaires

La sinologie commence avec le jésuite Matteo Ricci, dans le cadre des Missions catholiques aux XVIe et XVIIe siècles. L’intention n’est pas scientifique ; le but est la conversion. Cependant, la méthode jésuite en insinuant la foi par persuasion, se devait de comprendre les coutumes chinoises. Ricci écrit un dictionnaire et traduit les classiques, mais n’identifie pas le taoïsme.

Matteo Ricci, en chinois simplifié : 利玛窦 ; chinois traditionnel : 利瑪竇 ; pinyin : Lì Mǎdòu, né le 6 octobre 1552 à Macerata et décédé le 11 mai 1610 à Pékin, est un prêtre jésuite italien et missionnaire en Chine.

Léon Wieger (1856-1933) traduit Lao Zi, Zhuang Zi et Lie Zi, mais ses interprétations sont très contestées. Son Histoire des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine depuis l’origine jusqu’à nos jours (1922) est à lire avec précaution : « le Taoïsme me paraît être, dans ses grandes lignes, une adaptation chinoise de la doctrine indienne contemporaine des Upanishad », « les idées de ces hommes, les seuls penseurs que la Chine ait produits, sont à étudier avec soin », « leur système est un panthéisme réaliste, pas idéaliste », « il ne faut pas chercher une révélation de la Trinité, dans la formule de Lao-tseu (Lao Zi), un fit deux, deux fit trois, trois fit tout ». Ses perspectives sont parfois éclairantes, mais généralement caduques.

Les Lumières : exotisme

Les penseurs européens des Lumières utilisèrent les documents jésuites pour leurs combats, comme le Confucius de Voltaire, mais aucun ne se distingua par son érudition ou une traduction originale. Leibniz a peut-être le premier été touché par des inspirations d’un genre taoïste lorsqu’il imagina que les idéogrammes notent réellement les idées et que le Yì Jīng puisse fonder l’algèbre d’une langue parfaite. Les spéculations dans l’esprit de Jung (1875-1961) relèvent encore de cette attitude. Sur l’exotisme encore, le taoïsme reste utilisé pour justifier nouvelles médecines ou méditations. Ce n’est pas contradictoire avec l’histoire de cet enseignement, mais pas toujours éclairé aux meilleurs textes.

 

 

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