Un jour, Fu Quan était dehors dans un champ en train de s’occuper de moutons lorsqu’il entendit des hurlements de foule. Il escalada une colline voisine et aperçut un groupe de gens pratiquant les arts martiaux. L’enseignant était un vieil homme d’environ soixante-dix ans, de stature moyenne. Ses yeux regorgeaient d’esprit et, lorsqu’il démontrait son art, ses mouvements étaient rapides, vifs et précis. Sun n’avait jamais vu d’arts martiaux auparavant et fut fasciné par ce qu’il vit. Il décida alors que, le lendemain, il irait trouver ce professeur et lui demanderait de le prendre comme élève.
Le jour suivant, Sun trouva la maison de l’enseignant et s’agenouilla devant lui pour lui demander la permission de devenir son élève. Au premier abord, le professeur pensa qu’il plaisantait. Il lui demanda d’où Sun venait, et celui-ci raconta au professeur l’histoire de la mort de son père et expliqua qu’il travaillait pour un homme qui le battait. Le professeur fut ému par l’honnêteté de Sun et sa sincérité. Il lui demanda pour quelle raison il souhaitait étudier les arts martiaux. Sun répondit qu’il voulait pouvoir répondre aux assauts répétés de son employeur et de son fils. Le vieil homme répondit : « Les arts martiaux ne reposent pas uniquement sur le combat, leurs principes sont très profonds. » Sun se montra inflexible et ne voulut pas renoncer à cet apprentissage. Le professeur lui demanda alors s’il pourrait supporter les privations que cela exigerait. Sun répliqua qu’il pouvait supporter n’importe quel type de souffrance, pourvu qu’il puisse étudier les arts martiaux. Le professeur, dont le surnom était Wu, consentit alors à accepter Sun comme élève.
Sun était âgé de dix ans lorsqu’il commença à étudier avec ce premier professeur. Chaque jour, après le travail, il allait s’entraîner et étudiait jusqu’au milieu de la nuit. Son professeur avait lui aussi eu une vie très difficile lorsqu’il était jeune, et il compatissait à la situation de Sun. Après s’être aguerri dans la pratique martiale, Wu était devenu très vertueux et aidait les gens opprimés. Une fois, il fut amené à aider quelqu’un qui était maltraité, et, au cours de l’altercation, il tua l’agresseur. Le gouvernement réclama son exécution pour ce crime et c’est pourquoi il s’enfuit de chez lui. Pour vivre, il démontrait les arts martiaux dans la rue et mendiait de l’argent. Plus tard, il rejoignit la rébellion des Taiping (1850-1864) et combattit les soldats de la dynastie Qing. Après la dispersion des Taiping, il revint à la démonstration d’arts martiaux dans les rues pour subsister. Il était expert en Shaolin et en Ba Ji quan, ainsi que dans les dix-huit armes traditionnelles. Il excellait aussi dans le lancer de billes d’acier, les armes à feu, et possédait le qing gong (gongfu de la légèreté).
Sun Lu Tang était un étudiant exceptionnel. Après la première année de pratique, il devint particulièrement efficace dans les bases et commença l’étude du Hong Quan. Sun étudia également le système des soixante-quatre paumes du combat spontané, le gongfu de la légèreté, le qigong du « garçon vierge » et la manipulation d’armes secrètes. Wu reconnut l’intelligence et les capacités naturelles de Sun et put lui enseigner à un rythme très rapide. Après deux années d’étude, Sun était le meilleur boxeur de la région. Afin qu’il ne devienne pas trop insolent, son professeur lui rappelait que, bien qu’il progressât rapidement, il ne voyait encore qu’un aspect de la réalité de la pratique martiale et qu’il ne devait donc pas être trop fier de ce qu’il avait accompli.
Son professeur lui raconta une histoire de sa propre jeunesse, à l’époque où il venait d’atteindre un bon niveau de pratique pour son âge. Il pensait alors être très fort et intervint pour aider quelqu’un qui se faisait battre. L’adversaire qu’il affronta était un artiste martial hautement accompli, et Wu fut grièvement blessé. Il raconte que son adversaire aurait pu le tuer sans l’intervention d’un moine de Shaolin, témoin du combat, qui intervint pour le sauver avant qu’il ne soit trop tard. Le moine ramena Wu au temple de Shaolin, où il resta deux ans pour étudier. Au temple, il étudia le Tan Tui, les soixante-quatre paumes du combat spontané, les soixante-douze qin na et le qing gong.
Après que Sun eut étudié avec son professeur pendant trois ans, sa mère apprit qu’il pratiquait les arts martiaux. Cela la rendit très anxieuse, car elle pensait qu’il était trop frêle et risquait de se blesser. Elle partit le voir avec l’intention de lui dire de ne plus pratiquer. Cependant, lorsqu’elle arriva, elle s’aperçut qu’il était plus fort et en meilleure santé qu’il ne l’avait jamais été et n’essaya pas de l’empêcher de continuer. Sun était toujours mince et paraissait fragile, mais le fait de le voir en meilleure santé lui permit de comprendre que la pratique martiale lui était bénéfique.
Lorsqu’il eut approximativement douze ans, son patron accorda une demi-journée de congé à ses employés afin qu’ils puissent célébrer le Nouvel An. Sun avait prévu de rentrer chez lui pour rendre visite à sa mère. Alors qu’il était sur le point de partir, le fils du patron entra et commença à le malmener. Il dit : « Tu pratiques les arts martiaux ! Si tu penses être bon, voyons si tu peux combattre mon cousin. » Le cousin, qui était de huit ans l’aîné de Sun, entra dans la pièce. Il était très grand et fort, à l’image des pratiquants de lutte chinoise (Shuai Jiao). Le cousin attrapa Sun par la chemise et le traîna dans la cour. Une fois dans la cour, l’agresseur le saisit par le col et le pantalon, le souleva au-dessus de sa tête et le projeta. Tandis qu’il était jeté en l’air, Sun se retourna et retomba sur ses pieds. Cela rendit le cousin furieux, mais Sun était tout aussi en colère de voir sa chemise en lambeaux. Alors que son adversaire accourait à nouveau pour le saisir et le projeter, Sun le frappa au niveau du plexus solaire, puis dans le dos. Lorsque le cousin heurta le sol, il vomit toute la nourriture du Nouvel An qu’il venait d’ingurgiter.
Le fils du patron de Sun courut chercher son père. Le patron sortit dans la cour avec un énorme bâton en déclarant qu’il allait battre Sun à mort. Les autres serviteurs le retinrent et tentèrent de le convaincre de ne pas frapper Sun. Le patron hurla à ce dernier de quitter sa maison et de ne jamais revenir, sinon il le battrait jusqu’à ce que mort s’ensuive. Sun quitta donc les lieux et se rendit chez sa mère.
La seule chose qui intéressait le jeune Sun Fu Quan était les arts martiaux. Il ne voulait pas travailler, seulement s’entraîner. Pour se nourrir et alléger le fardeau de sa mère, il ne mangeait que des légumes sauvages qu’il trouvait. Comme beaucoup d’artistes martiaux de cette époque avaient mauvaise réputation, les villageois pensaient qu’il deviendrait un bandit. Cela renforça sa détermination. Il leur dit que non seulement il serait un très grand artiste martial, mais qu’un jour il aiderait ce village et rendrait tous ses habitants fiers.
Peu de temps après avoir été congédié, Sun se sentit honteux et déprimé de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa mère ni garder un travail. Un jour, il lui dit qu’il allait mendier du riz. Il se sentait si mal qu’au lieu de mendier, il sortit et se pendit. Immédiatement après qu’il eut serré le nœud autour de son cou, deux voyageurs passèrent et coupèrent la corde. Sun n’était pas encore mort, ils le ramenèrent donc chez sa mère. Les deux braves voyageurs parlèrent avec Sun et le convainquirent que, si mauvaises que soient les circonstances, il ne devait pas attenter à sa vie. L’un d’eux donna un peu d’argent à Sun et à sa mère, et ils l’utilisèrent pour se rendre à Bao Ding, rendre visite à l’oncle de Sun.
L’oncle du jeune Fu Quan tenait une boutique où il vendait des pinceaux de calligraphie. Il donna un travail à Sun comme commis dans son échoppe. Pendant qu’il travaillait dans le magasin de son oncle, Sun pratiquait la calligraphie chaque jour. Il était trop pauvre pour acheter du papier ou de l’encre, aussi utilisait-il du papier de brouillon sur lequel il écrivait avec de l’eau. L’oncle de Sun était un homme bon et son magasin connaissait un certain succès. En plus du logement et de la nourriture qu’il fournissait à Sun et à sa mère, il lui donnait périodiquement de l’argent pour le travail accompli. C’est grâce aux relations de son oncle que Sun put continuer sa pratique martiale à Bao Ding.
L’oncle de Sun avait deux amis très proches. L’un, surnommé Zhang, était un érudit ; l’autre, nommé Li Kui Yuan, était un pratiquant d’arts martiaux qui dirigeait la compagnie d’escorte Tai An.
Li Kui Yuan était un élève en Xing-yi quan du fameux Guo Yun Shen. Il rencontra ce dernier un jour alors qu’il escortait un convoi. À cette occasion, il défia Guo dans une rencontre amicale afin de tester son propre niveau. Li était réputé pour son travail de jambes et ses coups de pied. Pendant l’affrontement, Li tenta de placer un coup de pied sur Guo. Guo bloqua ce coup d’un geste qui sembla n’être qu’une légère tape, mais Li fut projeté de plusieurs pas en arrière et tomba au sol. Lorsqu’il se releva, il n’était pas blessé. Parce que Guo avait accepté le défi, l’avait vaincu de façon fulgurante sans lui faire de mal, Li sut qu’il avait affaire à un pratiquant très accompli. Il courut après Guo, tomba à genoux devant lui et demanda à devenir son élève. Guo consentit à l’enseigner et Li commença alors son apprentissage du Xing-yi quan. Il étudia avec lui pendant plusieurs années. Comme Li était déjà aguerri en arts martiaux, Guo lui transmit rapidement son enseignement et il perfectionna grandement ses habiletés. Après avoir étudié avec Guo, Li hérita du surnom d’« habileté divine ».
Un jour, l’oncle de Sun Lu Tang se préparait à envoyer un cadeau à son ami, le savant Zhang, et demanda à Sun d’écrire le nom et l’adresse du destinataire sur le paquet. Lorsque Zhang reçut le cadeau, il fut tout aussi impressionné par la calligraphie de son adresse que par le contenu du paquet. Zhang rendit visite à l’oncle de Sun pour savoir qui en était l’auteur. Lorsqu’il apprit que c’était le neveu de ce dernier, il déclara : « Vous ne m’aviez jamais parlé d’un jeune homme de votre famille doté d’un tel talent. » Zhang dit alors à Sun, qui était âgé d’environ quinze ans à cette époque, qu’il pouvait venir aussi souvent qu’il le souhaitait pour en apprendre davantage sur la calligraphie.
Durant ses temps libres, Sun commença donc à aller chez Zhang pour pratiquer. C’est là qu’il rencontra pour la première fois Li Kui Yuan. En rencontrant Sun, Li trouva un jeune garçon honnête et très intelligent. En apprenant que Sun avait déjà une formation en arts martiaux, Li lui proposa de lui enseigner le Xing-yi quan. L’amour de Sun pour les arts martiaux n’ayant pas faibli, il fut ravi d’avoir trouvé un nouveau professeur.







